Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas sous l’empire de la colère ; ils ont plus de respect d’eux-mêmes, moins de crainte de l’inconnu, plus de hardiesse en un mot. Sur leur physionomie, aucune trace de malveillance ou de moquerie à notre endroit ; seulement, ils nous traitent absolument comme leurs égaux, ce en quoi ils ont fort raison à mon sens. Ils sont venus de très bonne heure pour avoir de bonnes places, et ils les gardent. Rien de plus naturel.

La musique, qui avait été jusqu’alors désagréable, menace de devenir insupportable ; les tambours battent de plus en plus vite sur la planche légère qui remplace la peau d’âne de nos instruments ; les flûtistes soufflent avec plus d’ardeur, et tout ce vacarme s’entend d’autant mieux que plus il s’élève et plus la foule devient silencieuse et attentive.

Dix bonzes et autant d’enfants, tous vêtus de robes rouges, semblables à celles de leurs collègues de Chine, formèrent un vaste cercle au milieu du terre plein ; ils avaient de grands chapeaux d’où pendaient quantité de bandelettes de papier. À un signal du chef, tous se mirent à tourner comme font nos enfants dans les rondes ; seulement ils ne se tenaient point par la main, et malgré cela le cercle qu’ils formaient conservait bien sa forme. Chaque danseur, par un habile mouvement des pieds, glisse de côté sans sauter, il agite en même temps la tête, ce qui fait voltiger les bandelettes attachées à sa coiffure.

Le mouvement de tourniquet fut d’abord lent ; il devint ensuite plus vif, et à un moment il devint si rapide que l’on avait peine à suivre des yeux un des danseurs ; lancés avec vitesse, ils avaient perdu forme humaine. On ne distinguait plus qu’un grand cercle rougeâtre qui semblait se rompre à certains endroits, mais qui se reformait aussitôt. Toutes ces illusions n’étaient que des effets d’optique fort simples, et les brisures temporaires du cercle étaient produites par les bandes de papier des chapeaux. Mais pour les Coréens, peu versés en connaissances physiques, le spectacle semblait un prodige ; plus les bonzes s’échauffaient de ce mouvement intense et plus la tête des spectateurs s’étourdissait à les regarder. C’étaient des exclamations incohérentes ; des regards fixes qui semblaient magnétisés par ce spectre rouge. Puis, tout à coup, le grand cercle se dédoubla et deux plus petits, concentriques l’un à l’autre, le remplacèrent.

Ce changement à vue fut exécuté si habilement qu’il me fut im-