Page:Jametel - La Corée avant les traités, souvenirs de voyages.djvu/89

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Plus heureux que l’Américain notre devancier, nous sortîmes du port sans qu’une seule gargousse fut brûlée pour fêter notre départ. Une fois dehors, nous trouvons une mer unie comme un miroir ; pas un souffle d’air ne trouble le calme de l’atmosphère. L’été arrive vite dans ces régions sans printemps, et le soleil encore bas nous promet une chaude journée. Nous laissons le promontoire boisé de Tsousima à notre gauche ; nous nous lançons vers une mer qui semble ouverte. Il n’en est rien cependant ; nous entrons, au contraire, dans des parages qui sont déjà et qui seront toujours marqués d’un trait noir dans les annales de la navigation. Cet amas de rochers à fleur d’eau, qui a pris le nom d’archipel de Corée, est un des points les plus dangereux de la mer Jaune. Les îles qui le composent ne sont que des récifs toujours battus par la vague, souvent recouverts par elle, où le malheureux naufragé ne peut trouver un abri qui lui permette d’attendre du secours et un temps meilleur. Plus nous avançons dans cette mer perfide, et plus les remous et les points gris qui sèment çà et là le bleu clair de l’océan deviennent nombreux. À notre droite, le groupe des Hydrographes qui compte quelques îles véritables ; devant nous, l’île des Fleurs : celles de Maisonneuve et de Montebello rappellent l’expédition française en Corée, et à notre gauche une masse sombre nous indique la venue d’une terre importante. Pour mieux la voir nous mettons le cap dessus, afin de passer à peu de distance de sa côte nord.

Un pain de sucre solitaire, dont la face qui nous regarde est creusée d’un profond sillon qui part de son sommet et va en s’élargissant jusqu’à sa base ; dans ce sillon des champs cultivés, quelques chaumières éparses qui forment Chelingfou, la capitale de l’île, voilà Quelport telle qu’elle nous apparut, éclairée par un soleil ardent. Ce ne fut point sans quelque émotion que nous aperçûmes ce lieu où bien des malheureux de notre race, échappés au naufrage, trouvèrent une sécurité relative au milieu d’une population chez laquelle l’amour du butin l’emportait souvent sur celui de l’humanité. Il y a bien longtemps que ce triste refuge est connu de nos navigateurs ; au xvie siècle, le capitaine d’un navire hollandais qui y fit naufrage, alors qu’il faisait route pour le Japon, publia une relation détaillée de sa captivité en Corée, avec de nombreux renseignements sur ce pays et sur l’île de Quelport, où son navire s’était perdu. C’est ainsi que l’Occident apprit l’existence de