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Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/144

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La morne enfant dépérit, et promène à travers les couloirs glacés du couvent, où elle est revenue, sa fièvre et ses angoisses si fortes qu’elle ne ressent plus ses névralgies.

Une nuit elle croit sentir remuer l’enfant dans son ventre de vierge. Et, réveillée en sursaut, elle se souvient de cette voix entendue en rêve pendant les vacances, le matin même de l’abominable chasse, de cette voix qui criait : « Voici venir le temps de ta grossesse. » C’était l’avertissement divin, se dit-elle… Et moi ! Ne l’avoir pas écouté ! Tout est perdu, tout est fini !… Ah ! Qu’elle ne fût jamais née… ou qu’elle fût née une bête, un pauvre être comme Robinson, le chien, qui mangeait des os au soleil… On l’eût laissée bien tranquille…

Et parfois sa pensée se concentre sur l’enfant que nourrit son ignorance douloureuse. Ah ! Elle l’aime déjà. C’est son fils, le fils du bien-aimé. Que dirait-il, Roger, s’il la savait dans cet état ?… Lui écrire ? Oh ! Non… Quelle honte !… Elle ne saurait même pas… Mais quand il apprendra l’affreuse vérité, est-ce qu’il y aura un duel comme celui de l’oncle Joachim et du frère de Laura ? Est-ce que Roger tirera ? Est-ce qu’il aveuglera petit père ? Et alors ?… Non, c’est trop affreux…

Et chaque jour est une nouvelle agonie, chaque