Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/163

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heureuse » que se dresse le château des d’Etremont. Dans ce pays, l’émeraude argentée des prairies, l’eau bleue du ciel et la verte clarté des pics enchâssent tour à tour la neige des troupeaux et des cascades, les fauves moissons de l’été et les hêtres rougissants du pompeux Automne.

Tantôt gravissant les premiers contreforts de la montagne printanière, Almaïde rêveuse cueille à ses pieds la gentiane vernale ou le narcisse, tantôt errante par la plaine, elle entre dans les berceaux bleus de l’été, gagne quelque source et s’y plonge.

Ainsi ce soir, fuyant ses moroses pensées et l’août brûlant, elle atteint le bois des Aldudes. Elle en sait les discrets sentiers. C’est là qu’enfant elle s’asseyait et que sa mère, qui était d’Espagne et de la famille de Alcaraz, lui contait des légendes de Grenade, s’exaltant elle-même à se les rappeler.

Cette mère était morte quand Almaïde avait treize ans ; et la jeune fille évoquait la chambre ardente où son père la reçut dans ses bras, lorsqu’elle revint en hâte du couvent, le lit funèbre où Guadalupe de Alcaraz reposait vêtue de blanc et parée comme une Vierge d’Alméria.

Et dès ce jour une fatalité avait pesé sur le domaine. M. d’Etremont mourait quelque temps après dans un asile d’aliénés où l’on avait dû l’in-