Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/232

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entendement que le parler de la plupart des hommes. Ces bruits et ces couleurs n’étaient que les gestes de ces objets, leur expression, de même que la voix ou le regard sont parmi nos expressions et nos gestes.

Je sentais quelle fraternité m’unissait à ces humbles choses, et que c’est enfantillage de classer les règnes de la nature alors qu’il n’est qu’un règne de Dieu.

Est-il permis de dire que jamais les choses ne nous donnèrent des manifestations de leur sympathie ? L’outil qui ne sert plus la main de l’ouvrier se rouille aussi bien que l’homme qui délaisse l’outil.

J’ai connu un vieux forgeron. Il était gai au temps de sa force, et l’azur entrait dans sa forge noire par les rayonnants midis. L’enclume joyeuse répondait au marteau. Et le marteau était le cœur de cette enclume, mû par le cœur de l’artisan. Et, quand tombait la nuit, la forge s’éclairait de sa seule lueur, du regard de ses yeux de braise qui flambaient sous le soufflet de cuir. Un amour divin unissait l’âme de cet homme à l’âme de ces choses. Et quand, aux jours dominicaux, le forgeron se recueillait, la forge, nettoyée la veille, priait aussi dans le silence.