Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/233

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Ce forgeron était mon ami. Souvent, du seuil noir, je l’interrogeais et c’était la forge tout entière qui me répondait. Les étincelles riaient dans le charbon et des syllabes de métal formaient une langue mystérieuse et profonde et qui m’émouvait ainsi que des paroles de devoir. Et j’éprouvais là à peu près les mêmes choses que chez l’obscur savetier.

Un jour, le forgeron tomba malade. Son haleine devint courte, et je sentais bien que lorsqu’il tirait la chaîne du soufflet, jadis puissant, celui-ci haletait aussi, pris peu à peu du mal du maître. Le cœur de l’homme eut des sursauts, et j’entendis bien que, lorsque l’ouvrier brandissait le marteau sur l’enclume, l’outil battait le fer irrégulièrement Et à mesure que le regard de l’homme avait moins de lumière, la flamme du foyer éclairait moins. Le soir, elle vacillait davantage et, sur les murs et le plafond, il y avait de longs évanouissements de lueur.

Un jour, l’homme sentit en travaillant l’extrémité de ses membres se glacer. Le soir, il mourut. J’entrai dans la forge. Elle était froide comme un corps privé de vie. Une petite braise luisait seule sous la cheminée, humble veilleuse que je retrouvai à côté du lit mortuaire auprès duquel priaient deux femmes.