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Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/280

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À cette vue, j’ai failli pleurer, parce qu’il me rappelait ses frères vivants que l’on martyrise.

J’avais besoin de prier, de dire : Petit âne, tu es mon frère. On dit que tu es bête parce que tu es incapable de faire le mal. Tu vas d’un petit pas. Tu as l’air de penser, lorsque tu marches, ceci : Voyez ! Je ne peux pas aller plus vite… Les pauvres se servent de moi parce que l’on ne me donne pas beaucoup à manger. Petit âne, l’aiguillon te pique. Alors tu te presses un peu plus, mais pas beaucoup. Tu ne peux pas plus… Tu tombes quelquefois. Alors, on te bat, on tire sur la corde qui s’attache à ta bouche, si fort que tes gencives se relèvent et laissent voir tes pauvres dents jaunes brouteuses de misères.

Dans cette même foire, j’entendis une musette criarde. F… me demanda : Est-ce que ça te rappelle des musiques africaines ? — Oui, lui répondis-je. À Touggourt les musettes avaient un nasillement semblable. Ce doit être un Arabe qui joue. — Entrons, fit-il, dans la baraque… On y voit des dromadaires.

Une douzaine de petits chameaux, serrés comme des sardines en baril, abrutis, tournaient dans une sorte de fosse. Eux, que j’avais vus dans le Sahara, ondulants comme des vagues et n’ayant autour