Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/318

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si peu macabre, si peu conte de fée. Mon grand-père paternel, le docteur-médecin, mort à la Guadeloupe, serait à la place d’honneur, avec, sur ses épaules, un petit manteau de voyage où luiraient des grains de verglas. Son regard bleu d’acier, derrière les énormes lunettes d’or qu’il portait et dont se sert aujourd’hui ma mère, serait à la fois, comme il était, paraît-il, sévère et bon. D’une voix grave et chantante, il parlerait de la Grande Traversée, du vent de l’Océan Éternel, des tremblements de terres inexplorées, des naufragés sauvés par lui.

Et tous écouteraient ; et il serait beau, la mort étant éternelle, de revoir chacun à cet âge seulement que nous prêtons, avec une singulière obstination, aux chers disparus.

Les cousines de Saint-Pierre-de-la-Martinique, elles étaient quatre, je crois, ne dépasseraient point chacune dix-huit ans et, vêtues de robes de mousseline blanche, riraient de quelque gâteau mal réussi. Et mes grand’tantes huguenotes, rigides mais heureuses, de longues chaînes d’or au cou, s’expliqueraient l’une à l’autre, les révélations des Prophètes. Et soixante et quinze ans trembleraient pour chacune dans leurs voix cassées. Et mon aïeul maternel à dix-neuf ans, avec son carrik vert d’étudiant romantique, tous…

Mais le songe s’efface et le vent pleure.