Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/319

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Dans une mousse ensoleillée, et transparente comme une algue ou une émeraude, j’ai enveloppé les racines de ces premières pâquerettes de Janvier. Elles sont les seules fleurs de ces temps-ci, avec des rares pervenches et des ajoncs. Trop d’amour les gonflait sans doute. Il fallait qu’elles naquissent malgré la glace. Les lanières blanches des capitules sont violacées à l’extrémité, et entourent des fleurons qui sont d’un jaune verdâtre comme le dessous d’un vieux cèpe. Les racines boueuses sentent la campagne labourée. J’ai eu la cruauté de cueillir ces fleurs, et elles sont lamentables à présent, aussi blessées que des bêtes le pourraient être et voici que, lentement, et comme si elles étaient mues par une crainte terrible, les feuilles des capitules se recourbent au dedans pour recouvrir et protéger les robes des corolles minuscules que je ne puis plus voir. Délicatement, j’essaie de soulever ces feuilles, mais elles me résistent et je n’arrive qu’à meurtrir la plante. Imbécile ! Est-ce que je n’aurais pu laisser vivre ces fleurs au bord de leur fossé ? Là, elles eussent senti le grésillement frais du sol imbibé, un oiseau