Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tinan était, comme je le vis en réalité : charmant et ironique. Il m’offrit des gâteaux singuliers et me raconta qu’il avait, pour s’amuser, fait boire des boissons anglaises à des soldats qui faisaient les grandes manœuvres. Et qu’il était arrivé à ce résultat que chefs et soldats pris de gaîté ne savaient plus, les uns commander, les autres obéir.

Tout à coup une angoisse terrible m’a saisi, une sympathie douloureuse, un regret de n’avoir pas assez connu durant sa vie le poète d’Aimienne. Je lui ai tendu la main en pleurant et me suis éveillé.

Qui sait ? En quels mystérieux pays allons-nous aborder, en quelles îles de l’Océan du sommeil ? Quels pavots blancs nous enchantent ? Pourquoi invoquer le hasard et non l’ignorance ? S’il est vrai que la vie ne tienne qu’à nos sens et que nos royaumes soient en nous — pourquoi les poètes qui sont, comme on l’a écrit, les explorateurs de leur âme, n’apercevraient-ils pas dans la nuit et la brume de leurs rêves, parfois, un promontoire de la mort ?



Souvent je me suis figuré le Ciel. Celui de mon enfance était la cabane que s’était fait construire,