Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/332

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Une tempête m’a bloqué à Fontarabie. J’étais si trempé que je ne pouvais plus avancer, et le vent me secouait dans les venelles aux maisons blasonnées. J’ai songé aux torrents d’azur de l’été, au golfe qui chante et luit au haut du ciel, à la nacre de la Bidassoa, à tous mes rêves ardents, à l’odeur fauve de Mamore. Je suis entré dans une auberge pour qu’on y fît sécher mes vêtements. Durant trois heures, couché dans un lit froid, j’ai écouté la pluie drue. Je me suis levé à l’heure de la sortie de la grand-messe. J’ai vu défiler, sur les pavés luisants d’averse, les filles en mantilles, aux cheveux en cédilles, huilés, bleus et plaqués sur le front. Elles étaient robustes, gracieuses, rondes et comme tournant sur elles-mêmes. Elles marchaient les jambes écartées. Un prêtre, le long du mur, glissait… Ensuite, je me suis fait conduire à Irun, dans une barque, par un pauvre enfant qui s’escrimait à ramer, les pieds nus en de lamentables bottines à élastiques. Mon cœur s’est serré devant la misère de l’eau, du ciel et de cet enfant. L’eau était méchante et jaune, le ciel avait la teinte d’un Vendredi-saint, et l’enfant était décharné.