Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/354

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craignant de trop fatiguer ses porteurs[1] », elle s’écrie : « Voilà de la pervenche encore en fleur[2] ? »

La cloche tinte encore et tremble dans la fraîcheur bleue, et sa voix angélique berce, sous l’onde de l’azur, mon âme évaporée. Je ne suis plus en moi : le passé, le présent, les chants d’oiseaux, les peupliers noirs qui bruissent et luisent, la clarté des prairies où les veilleuses d’Automne posent une buée lilas, Jean-Jacques et Mme de Warens s’appellent, se répondent, sons, lueurs et songes, en ce point de ma vie.

— « Voilà de la pervenche !… »

… De la pervenche que je cueille, enroulée à des ronces, et dont l’âme, très humble, la même toujours, n’a point quitté ces lieux où, eux aussi, demeurent.

J’approche et mon cœur bat comme la cloche qui, plus éloignée maintenant, roucoule. Le chant de cette cloche, n’est-ce point, ô Jean-Jacques, le souvenir de tes pigeons fidèles qui, sur le colombier détruit, tournoie et pleure ?

… Et voici la terrasse où, par les soirées pâles et palpitantes d’étoiles, tu jouais à l’astrologue et penchais ton front taciturne vers ton planisphère céleste.

  1. Les Confessions, partie I. liv. VI.
  2. Id.