Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/37

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Et la brebis bêla.

Ses bêlements étaient si tristes que l’on eût dit que son âme s’exhalait déjà vers la mort, à la seule pensée de quitter François. Comme elle se taisait, on entendit soudain, prise de je ne sais quelle mélancolie, son agnelle pleurer comme une enfant.

Et la brebis parla :

Ni la sérénité des luzernes que l’aube ternit de sa buée, ni la réglisse de la montagne où le brouillard fait perler sa sueur d’argent, ni la litière de la hutte enfumée ne sont comparables aux pâturages de ton cœur. À te quitter, nous préférerions l’abattoir sanglant et fade, et le balancement de la carriole qui nous y emporte, bêlantes et les pattes liées, le flanc et la joue sur la planche. Ô François, notre mort serait de te perdre, car nous t’aimons.

Et cependant que la Robine s’exprimait, le hibou et les éperviers l’un près des autres perché, se tenaient immobiles, les yeux pleins d’angoisse, serrant les ailes pour ne se pas envoler.