Page:Jammes - Le Roman du lièvre, 1922.djvu/38

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Ce fut Lièvre qui parla le dernier :

Vêtu de ses poils de chaume et de terre, il semblait être un dieu des labours. Au milieu de cette nature désolée par l’hiver, il était comme une motte de l’été. Il évoquait un cantonnier et un facteur rural. Il portait, dans les cornets de ses oreilles, l’émoi troussé de tous les bruits. L’un de ces cornets, tendu vers le sol, épiait le grésillement de la gelée, tandis que l’autre, ouvert à l’horizon, recueillait les cognées d’une hache dont résonnait la forêt morte.

— Certes, dit-il, ô François, je puis me contenter des écorces moussues qui s’attendrissent sous la caresse des neiges et que les aurores de l’hiver parfument. Plus d’une fois je m’en rassasiai durant ces jours calamiteux où les ronces ne sont que des cristaux roses, lorsque la glisseuse bergeronnette pousse un cri aigu vers les vermisseaux que son bec n’atteint plus sous la glace des berges. Et je brouterai ces écorces. Car, ô François, je ne veux point mourir avec les doux amis qui agonisent, mais je veux vivre auprès de toi, me nourrissant de l’amère fibre des tauzins.