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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

mélodrame en personne, cet être grossier et mal élevé qui ne doute de rien, ce grand prodigue à qui rien ne coûte pour amuser son public, ni le vol, ni le meurtre, ni l’inceste, ni les forfaits les plus compliqués… le mélodrame, se voyant dépassé par des fureurs incroyables, remet son poignard dans le fourreau, et il se dit, les bras croisés : Attendons des jours meilleurs !

Voilà pourtant où la déclamation nous a menés en moins de six semaines. La déclamation littéraire a commencé cette œuvre de ténèbres et cette destruction, la déclamation politique a fait le reste. Cette même nation française célèbre autrefois par son urbanité, par son atticisme, par les charmantes recherches de son langage, par l’aménité de ses mœurs, par tous les raffinements poétiques de la civilisation la plus avancée qui fut jamais, la voilà telle que l’ont faite de misérables hâbleurs sans style ! La voilà qui s’agite d’une façon convulsive sous les transes, sous les terreurs, sous les insultes d’une éloquence qui ne respecte rien ni personne, qui ne respecte pas même la grammaire. Pauvre nation ! pauvre société française ! Elle a beau vouloir revenir à ses vieux dieux, elle a beau tendre la main à ses vieux chefs-d’œuvre, elle a beau revenir, de toutes ses forces, à ce noble passé qui n’est pas encore si loin d’elle, rien n’y fait ; la main du premier venu l’arrête dans ses nobles élans. La première voix qui va crier bien haut toutes sortes de phrases horribles, les fera taire, ces poètes, ces romanciers, ces historiens qui recomposaient lentement les annales du monde, renouant de leur mieux la chaîne brisée. Hélas ! qui que vous soyez aujourd’hui, vous tous dont nous espérions encore les secrètes émotions des beaux-arts, vous qui chantiez les transports et les paysages de nos vingt ans, vous les peintres, vous les sculpteurs, les architectes et les réparateurs des vieilles ruines, — vous les artistes qui prêtiez votre talent au drame, à la comédie, et vous les belles personnes qui leur prêtiez votre beauté, votre heure est passée et l’attention n’est plus pour vous. Nous appartenons tous, à cette heure, au démagogue qui hurle dans les carrefours, aux fanatiques des mauvais jours remis en lumière.

Eh ! que dis-je ? nous appartenons à l’assassin, qui s’en va, la nuit, le fusil à la main, attendre le Roi au milieu de ses sujets. Voilà l’attention universelle ; elle n’est pas autre part ; qui que