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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

Louis XVI ; le roi la vit, et désira en faire présent à la reine : il fit porter l’écrin chez elle ; mais la reine assura son époux qu’elle serait très-fâchée d’une semblable dépense, disant, ce sont ses propres paroles, que la France avait plus besoin d’un vaisseau qu’elle d’un bijou. À cette réponse Boëhmer fut désolé. Pendant un an entier il offrit son collier à toutes les cours de l’Europe, vainement, soit que le temps des diamants fut passé, soit que les rois de l’Europe comprissent confusément, comme la reine de France, qu’ils auraient bientôt besoin de vaisseaux et de soldats. Au retour de son voyage, Boëhmer obtint encore une audience de la reine ; il menaça de se noyer si la reine n’achetait pas son collier ; Sa Majesté fut même obligée de chasser le bijoutier de chez elle : de ce jour on n’entendit plus parler de lui.

Certes, il est difficile à une jeune femme, belle et reine, d’avoir autant de retenue en présence d’une des plus riches parures du monde, que lui offre son époux. Ce collier, que la comtesse Dubarry eût porté sans remords, Marie-Antoinette n’ose pas y songer ! En ceci les auteurs du drame de l’Ambigu ont fait un cruel mensonge : au premier acte, dans la galerie de Versailles, la reine regarde ce collier avec envie ; cela n’est pas ; la reine, à cette époque, était déjà moins dans le monde, elle était peu jalouse de riches parures ; elle préférait à tous les diamants de la couronne, les jardins de Saint-Cloud ou de Trianon.

Je poursuis mon histoire. Quelque temps se passe ; la reine n’entend plus parler de Boëhmer, lorsqu’un jour Boëhmer, tout troublé, se présente au palais, réclamant quinze cent mille francs pour un collier que la reine lui a fait acheter par le cardinal de Rohan. — « Vous vous êtes trompé, s’écrie Mme Campan ; la reine n’a pas adressé la parole une seule fois au cardinal depuis son retour de Vienne ; il n’y a pas d’homme plus en défaveur à la cour. » Boëhmer, confondu, soutient cependant que le cardinal a vu la reine prendre elle-même trente mille francs dans le secrétaire de porcelaine de Sèvres qui est auprès de la cheminée de son boudoir.

Tels sont les faits. La reine n’a pas paru une seule fois dans cette infernale histoire ; il était donc inutile de la compromettre dans ce drame, de la faire agir et parler au milieu de tous ces escrocs des deux sexes : le drame, ainsi débarrassé de cet au-