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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

croquerie, pour ajouter une dupe vulgaire à ces dupes royales ! Mais ceci est un innocent stratagème littéraire, nous aurions tort de nous en inquiéter ! Vous ne sauriez croire ce que sont devenues dans cette pièce les délicieuses scènes d’intérieur que raconte madame Campan, lorsque la reine Marie-Antoinette, reine en robe blanche et en simple chapeau de paille, apparaissait dans les campagnes éblouies de sa beauté et répandant mille bienfaits sur son passage. Ce sont là pourtant des souvenirs qui doivent être chers à tous ceux qu’intéressent encore tant de majesté et tant de malheur ! Qui de nous, dans ces moments indicibles de tristesse où nous jette l’histoire, se refuserait à déplorer ces royales infortunes, par l’admiration, par l’amour, par les larmes, par la poésie, par l’histoire, en attendant qu’un autre Schiller s’empare de cette autre Marie Stuart et l’entoure, comme c’est le devoir d’un poète dramatique, de toute l’histoire de son temps, des passions, des vices et des vertus de cette époque, mettant à côté d’elle lord Cécil et Mortimer, le bourreau et le défenseur. Que voulez-vous donc, vous qui me présentez Marie-Antoinette isolée de tout ce qui fut sa vie, se livrant à des quolibets dignes de mademoiselle Arnould, se déguisant en rosière, et quittant son théâtre pour voir danser des sarabandes ? De grâce, respectons cette élégie et ne nous livrons pas à raconter ces misères royales, sans avoir interrogé nos forces et notre conscience ! C’est ce qu’on n’a pas fait pour la reine aussi n’avons-nous retrouvé ni la reine, ni la femme, ni l’époque.

Heureusement, car c’est un éloge à rendre aux deux auteurs, leur fable une fois acceptée, ils ont été pleins de respect et de réserve ; leur drame est un drame d’honnêtes gens. Hors quelques propos un peu lestes que la reine ne pouvait pas tenir, ils l’ont montrée aussi noble, aussi belle qu’ils ont pu la faire. Si tout cela a manqué, c’est la faute d’un sujet impossible à qui n’aura pas le génie du drame. De Louis XVI lui-même, les auteurs ont fait un grand roi ; ils ont fait plus, ils l’ont rendu, ce roi si timide, éloquent et même bavard. Ce n’est plus le roi Louis XVI, timide, méfiant de lui-même, caché ; dans ce drame, au contraire, le roi est plein d’intelligence et de sagacité ; c’est le roi qui découvre l’infernale machination de madame Lamotte-Valois ; c’est le roi qui dispose toutes choses pour la punition des coupables ; à la