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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

demande encore un mois de répit avant qu’on relâche son mari, deux vieilles anecdotes de Bastille. M. le marquis de Mirabeau, l’ami des hommes, arrive tout exprès pour faire de la sensibilité et de la morale. Après quoi tout le monde s’en va ; l’abbé sort de son armoire, la femme enceinte va rejoindre son amant, le marquis de Mirabeau va ajouter un nouveau tome à l’Ami des hommes, M. Lenoir va se promener. Ceci s’appelle une exposition.

C’est au moins la première partie d’une exposition. Quand tout le monde est parti, le secrétaire de M. Lenoir, M. Boucher, reste seul à se parler à lui-même. Tout à coup entre une femme éplorée. Vous ne devineriez jamais quelle est cette femme qui entre ainsi à la Bastille comme on n’entrerait pas dans une maison bourgeoise ? Cette femme, c’est madame de Monnier elle-même ; oui, madame de Monnier elle-même, la faible et jolie marquise que nous savons si étroitement enfermée dans une maison de filles repenties ! Il paraît que madame de Monnier s’est échappée. Sortie de sa prison, elle se précipite à la Bastille ! à la Bastille, pendant que son amant est à Vincennes ! Cependant, ce bon M. Boucher n’est guère étonné de voir Sophie. Quelqu’un vient ; M. Boucher cache Sophie dans sa chambre ; un jour plus tôt il l’aurait cachée dans la bibliothèque ; mais la cachette n’est pas sûre depuis l’aventure récente de l’abbé.

Ce quelqu’un qui arrive au milieu d’une scène, ce quelqu’un qui se devine à coup sûr, et qui prend au moins deux ou trois minutes pour entrer, c’est toujours le mari jaloux ou n’importe quel autre tyran qui arrive. Ce n’est jamais un premier-venu qui arrive ainsi. Cette fois c’est M. Lenoir. Sophie n’a que le temps de faire une demi-douzaine de gestes et d’entrer dans la chambre de M. Boucher. M. Lenoir arrive. M. Boucher, qui n’est pas accoutumé à cacher de belles dames dans sa chambre, se trouble de toutes ses forces ; le soupçon entre aussitôt dans l’âme de M. Lenoir. Il regarde la chambre d’un air narquois ; mais il n’est pas encore temps d’éclaircir ses soupçons ; c’est un plaisir qu’il se réserve pour une autre fois.

Ce pauvre M. Boucher m’a fait peine ; et certainement il doit être bien embarrassé de madame de Monnier dans sa chambre. Il paraît que M. Lenoir est terrible sur l’article ! Heureusement un guichetier, Jacques Bonhomme, un serviteur de Mirabeau, qui se