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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

trouve à la Bastille parce qu’il est monté en grade, devine que madame de Monnier est dans ce cabinet ; il lui ouvre la porte, comme Suzanne au page ; madame de Monnier s’en va comme le page, non pas par la fenêtre, mais par la porte de la Bastille, ce qui est bien plus étonnant ; et quand M. Lenoir revient pour éclaircir son soupçon de tantôt, quand il se précipite dans la chambre comme le comte Almaviva, il trouve la chambre vide, et M. Boucher triomphe, aussi heureux que la comtesse. N’est-ce pas là, je vous prie, une petite Bastille bien gardée ?

La scène change. Nous ne sommes plus à la Bastille, nous sommes au donjon de Vincennes. C’est dans le donjon de Vincennes que Mirabeau a écrit ces lettres de chaude et vive passion, qui se sont placées bien au-dessus des lettres de l’Héloïse. Au donjon de Vincennes, Mirabeau était dans une dure captivité, il était seul, sans habit, sans linge, sans maîtresses, mais non pas sans amour ; il lisait Tibulle, il le commentait, il le traduisait, il se livrait au vice absent avec plus de fureur et de rage que si le vice eût été sous sa main, obéissant et docile comme est le vice ; c’était une prison dure, inviolable, muette, mais enfin ce n’était pas un cachot. Or, les auteurs de la pièce nouvelle ont jeté Mirabeau dans un cachot. Ils ont été violemment sur les brisées de l’Ami des hommes. Le donjon de Vincennes, à fenêtres étroites et basses, aux murs tout nus, entre ces fossés infranchissables, ne leur a point paru encore assez bon pour le drame. Ils ont creusé un cachot bien noir, éclairé avec une lampe, une voûte sépulcrale sous laquelle on jouerait parfaitement Camille ou le Souterrain, ce grand opéra-comique du bon temps. Au cachot Mirabeau ! au cachot, au pain et à l’eau ! au cachot Mirabeau qui pleure ! Menteurs dramatiques ! Artistes maladroits ! Pourquoi toujours au delà du vrai ? Pourquoi toujours exagérer ? Pourquoi le cachot obscur et tout noir à l’homme qui habite une cellule éclairée et morne, mais dans laquelle on peut le voir ; pourquoi faire pleurer si fort ce jeune homme qui n’a que de l’amour et de la fureur dans la tête, dans le sang, dans le cœur ? Pourquoi renoncer à la belle étude de cette passion brutale, vicieuse, éclatante, qui donnait à la tour crénelée l’éclat et le parfum et les murmures passionnés du boudoir ! Que voulez-vous que je fasse de ce cachot vulgaire quand je m’attendais à voir le donjon de Vincennes ? Que me fait cet