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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

même dans ses familiarités les plus intimes avec la populace. Ce qui a contribué à faire de Mirabeau un si grand pouvoir parmi le peuple, c’est que Mirabeau était né pour commander, c’est que le peuple ne pouvait pas, sans transition, obéir tout à coup à des pouvoirs sortis de ses rangs. »

C’étaient là des batailles, et d’autant plus qu’à la même heure je publiais un des premiers livres qu’eût enfanté la révolution de juillet, Barnave, un de ces livres qui échappent à l’analyse, et qui, au bout de vingt ans, restent une énigme, même pour celui qui les mit au jour. Dans Barnave, Mirabeau jouait un grand rôle, on voyait Mirabeau vaincu et désarmé qui se jette aux pieds de la reine, et si ce livre qui obtint un assez grand retentissement, renfermait à peu près tout ce qui se mettait d’admiration et d’extases dans les mélodrames de ce temps-là, du moins, dans son inexpérience des premiers éléments d’un livre écrit à loisir, et avec les déférences qui sont dues au lecteur sérieux, il était empreint, je l’espère, d’un profond respect, d’une sympathie immense et d’une adoration de toutes les heures pour Sa Majesté la reine de France. — Sancta Majestas ! Même la préface de Barnave est restée un instant célèbre par les adieux qu’elle contenait au roi Charles X et à toute sa race. — Il était vaincu, exilé, malheureux, ce bon prince, il avait droit à la louange des honnêtes esprits qui sont nés les flatteurs des causes perdues, les très-humbles et très-fidèles serviteurs et sujets des couronnes sur lesquelles s’appesantit la fortune insolente. Ô la chance heureuse de s’agenouiller à ces ruines sacrées, pendant que la foule esclave, la foule avide, au-devant du soleil nouveau, va chantant ce vagabond Te Deum réservé à toutes les grandeurs passagères ! Qui que vous soyez, artistes, poètes, inspirés naïfs qui vivez loin du maître, ayez soin de saluer celui qui tombe ; allez, s’il le faut, jusqu’à Cherbourg, par le soleil de Juillet ; allez jusqu’aux rives désolées du château d’Eu par les brouillards et les brumes de Février ; montrez au vieillard qui s’en va un front sympathique, un regard ami à l’enfant que l’orage emporte ; allons, rendez à ces femmes royales le dernier devoir de la patrie en larmes, et rentrez chez vous, contents d’avoir donné à la fortune, à la force, à la révolution le seul démenti qu’il fût en votre pouvoir de leur donner.