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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

veut arriver doit marcher ainsi à travers ce tumulte bruyant qui n’épouvante que les lâches, qui ne fait reculer que les faibles. Tristes, mais utiles clameurs, elles servent à reconnaître dans la foule l’esprit, le sang-froid, le courage, la valeur morale des hommes littéraires ou politiques. Nous concevons donc toutes ces fureurs. Nous comprenons parfaitement qu’Aristophane et ses disciples aient cultivé, comme ils l’ont fait, et Dieu sait avec quel bouleversement de toutes les puissances et de toutes les idées adoptées ! la comédie politique. Mais quand ces mômes passions sont éteintes, quand ces haines sont effacées, quand les puissants de la veille sont remplacés par les puissants du lendemain, quand trois à quatre révolutions ont passé, en les amortissant toujours, sur ces pamphlets sans goût, sans retenue et sans art ; quand, au lieu d’attaquer des maîtres vivants et souverains, on n’a plus affaire qu’à des morts et à des vaincus, nous vouloir intéresser après coup, à des œuvres sans style, sans talent, sans valeur par elles-mêmes et qui n’ont vécu un peu de temps qu’à la faveur des rancunes de la multitude aveugle, voilà ce qu’on ne saurait expliquer.

Quand fut joué pour la première fois ce mélodrame : la Jeunesse de Richelieu, devenu aujourd’hui intolérable, la lutte commencée depuis longtemps entre le peuple et la noblesse de France était achevée. Le peuple triomphait de toutes parts et il était encore dans le premier enivrement de sa victoire Le moment était donc bien choisi pour livrer à l’exécration du parterre tous ces beaux et galants gentilshommes de Versailles, représentés par le plus grand de tous, le plus heureux et le plus à la mode, M. le maréchal de Richelieu. Il avait jeté un vif éclat dans sa vie ; il avait poussé jusqu’à l’extrême les qualités qu’on prisait le plus à la cour : il avait été galant et brave ; heureux et prodigue ; il avait eu tous les genres de succès, même les succès de l’esprit Les honneurs avaient été si loin pour cet homme, qu’on le disait, dans un certain monde, le père même de M. de Voltaire ! Jugez donc de l’étonnement public quand on vit enfin ce rare bonheur, ce nom illustre, ce favori des rois, cette brillante épée et cet esprit délié, ce membre de l’Académie française qui avait assez d’esprit pour se vanter et pour pouvoir se vanter, sans être ridicule, de ne pas savoir l’orthographe, traîné à son tour sur le théâtre comme on y avait