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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

traîné le roi et les prêtres, mais cependant avec cette différence glorieuse que le roi et le prêtre étaient immolés, sur un échafaud commun à l’usage de toutes les royautés et de toutes les religions, tandis que lui, le maréchal de Richelieu, par une exception qui l’eût rendu fier, s’il eût pu en être le témoin, il était nommé en toutes lettres ! Si bien que ceux même qui ne pouvaient pas dire : Nous verrons demain insulter le roi Louis XIV ou M. l’archevêque de Paris ! pouvaient dire à coup sûr : Allons voir insulter ce soir M. le maréchal duc de Richelieu !

Et pourtant qu’avait-il donc fait, cet homme illustre, pour être traité comme vous allez voir qu’il sera traité tout à l’heure, sans pitié ni miséricorde ? Toute sa vie il s’était efforcé de se faire pardonner à force d’urbanité, d’élégance exquise, d’esprit et de politesse, ses succès en amour, son courage à la guerre, ses négociations dans la paix. Il portait un nom qui devait être plus odieux à la noblesse qu’au peuple de France, le nom de ce terrible Richelieu, qui fit décapiter un Montmorency ! Il était venu au monde pour ainsi dire, sous les yeux du vieux roi Louis XIV, et, jeune enfant, il put assister aux derniers éclats de ce soleil couchant. Ainsi il devait être, plus tard, dans cet orageux xviiie siècle, l’élégant et le plus digne représentant du grand siècle. À quatorze ans il fut présenté à madame de Maintenon, qui se trouva tout étonnée à la vue de ce beau gentilhomme vif, étourdi, léger, aux reparties pleines de grâce et d’esprit. « Votre fils, écrivait madame de Maintenon au duc de Richelieu, plaît au roi et à toute la cour ; il fait très-bien tout ce qu’il fait ; il danse très-bien, il joue honnêtement, il est à cheval à merveille, il est poli, il n’est point timide, il n’est point hardi, mais il est respectueux ; il raille, et il est de très-bonne conversation ; enfin rien ne lui manque. Madame la duchesse de Bourgogne a une grande attention pour votre fils. » Et en effet, cette belle duchesse de Bourgogne, qui fut le dernier sourire et le chaste amour paternel du vieux roi, pauvre femme morte si vite, qui brillait avec tant de grâce, et qui a passé comme la fleur des champs, appelait le duc de Fronsac : sa poupée. Il paraît que cet enfant, plus hardi que Chérubin, osait oser, car son père lui-même demanda au roi une lettre de cachet, et il enferma monsieur son fils à la Bastille. Là, ce jeune homme apprit à lire les