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LITTÉRATURE DRAMATIQUE.

vers de Virgile, et ce n’est pas un de ses moindres bonheurs, d’avoir lu toute sa vie les Bucoliques et l’Énéide. Quand il sut par cœur toutes les belles histoires de ces bergers et de ces héros, il sortit de la Bastille pour aller se battre. Et chose étrange ! cet écervelé jeune homme, aux passions impétueuses, ce fut madame de Maintenon qui le tira de la Bastille pour en faire un mousquetaire. Le moment était bon pour se battre, Villars était à Denain ; le jeune duc de Fronsac fut du nombre de ces soldats de Villars qui sauvèrent la France ; c’était là heureusement commencer pour un lieutenant qui devait être un des héros de Fontenoy. Villars voulut avoir pour aide de camp ce beau jeune homme qui faisait si bon marché de sa personne. Ils prirent ensemble Marchiennes et Douai et Fribourg où le jeune Richelieu fut blessé. Ce fut lui que M. de Villars envoya au roi pour lui annoncer que les forts se rendaient. C’était la première fois que le duc de Fronsac reparaissait devant le roi depuis qu’il était entré à la Bastille. Mais qu’ai-je besoin de raconter ainsi toute cette biographie, et n’est-ce pas là déjà une amère critique du mélodrame en question, que de me forcer à écrire toute la vie du maréchal de Richelieu ? Quand mourut son père il renonça, en faveur des créanciers du vieux duc de Richelieu, à toute la succession paternelle, faisant ainsi l’action d’un honnête homme. Quand mourut Louis XIV, il fut un des rares courtisans de cette majesté éteinte qui osât la pleurer, et ce n’est pas déjà une médiocre louange que d’avoir entouré de ces respects posthumes ce grand roi dont le cercueil était indignement abandonné aux outrages de la populace !

Alors vint la régence, l’esprit commença à l’emporter sur toutes choses ; M. de Richelieu ne fut pas des derniers à entrer dans cette nouvelle carrière. Il se posa d’abord comme un ennemi de ce spirituel régent d’Orléans, qui précipitait si gaîment la France dans toutes sortes de nouveautés hardies. Il éleva, non pas autel contre autel, mais boudoir contre boudoir ; il fit le métier de braconnier intrépide et heureux dans les amours, dans le luxe, dans les folies, dans les duels de M. le régent et de ses amis. M. le régent n’avait pas une maîtresse sans que M. de Richelieu lui enlevât sa maîtresse ; jouaient-ils ensemble, Richelieu gagnait toujours. S’il tirait l’épée, il était à peu près sûr de blesser son homme. Compromis dans la ridicule conspiration de Cellamare et