Aller au contenu

Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que tu aimes ! celle à qui tu penses ! celle que tu poursuis la nuit et le jour ! celle pour qui tu négliges tes fleurs, tes amis, tes poëtes !… combien vaut-elle ?

Je pris une pièce d’or : — Pour toi, mon bon Sylvio, toi qui es jeune, beau et timide, voilà ce qu’elle s’estimerait sans doute, en riant de ta simplicité.

Je pris ensuite la moitié de la même pièce en argent :

— Pour le vulgaire, pour l’homme qui passe, pour le premier venu qui n’est pas trop pressé dans sa route, voilà le prix.

— Vienne un soldat pris de vin ou quelque vieillard obstiné et avare, voilà tout ce qu’elle lui coûtera ; et je poussai du doigt une pièce de cinq francs, à l’effigie de S. M. Louis XVIII ; puis j’eus honte de moi-même et je retombai dans mon accablement.

Il se fit un moment de silence. Était-ce un reproche ou une plainte de la part de Sylvio ?

À la fin il se leva, vint à moi, et prit une pièce d’or :

— Je veux en avoir le cœur net, me dit-il ; où est-elle ? je vais l’acheter.

— Toi, Sylvio ?

— Moi-même ! Que t’importe d’ailleurs qui l’achète, puisque chacun a le droit d’être ton rival ? Insensé ! tout à l’heure il se moquait de ma passion vagabonde,