Page:Janin - L’Âne mort, 1842.djvu/43

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cœur. Les grâces de l’un, vif, pimpant, hardi, léger ; la beauté de l’autre, vive, agaçante, hardie, légère ; ces fières oreilles qui menaçaient les cieux, ce sourire folâtre qui défiait le malheur ; ce trot si élégant et si doux, cette course si svelte et si animée ! J’étais fou de l’un et fou de l’autre ; d’ailleurs ils se comprenaient si bien ! le nom de Charlot sortait si naturellement de sa bouche ! Heureux couple !

Cependant je revenais sur mes pas, par le plus court, ne regardant plus ni l’herbe naissante, ni les moulins à vent, ni rien de ce beau paysage qui m’enchantait le matin ; j’étais triste et boudeur comme un homme tout étonné de se trouver seul. Un incident imprévu me vint tirer de ma rêverie. Je passais auprès d’un lourd paysan, un rustre dans la force du terme, précédé par un vil baudet chargé de fumier ; le paysan battait le baudet à outrance. — Ah !Charlot, cria-t-il une fois. Charlot !… Je me retourne, je regarde : le malheureux ! c’était bien lui ; tout courbé sous cette paille infecte !… et tout à l’heure encore, il caracolait sous cette idéale figure. Quelle brusque transition, quelle métamorphose inattendue ! Je passai devant Charlot, jetant au pauvre âne un regard de compassion qu’il me rendit de son mieux. Je fus malheureux pendant