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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/100

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Le moyen le meilleur de renfermer le crédit à la consommation dans ces limites était assurément la discipline de l’Église sur l’usure, telle que nous allons l’expliquer. Son application rigoureuse était d’ailleurs dans les siècles précédents une mesure de salut public indispensable.

Les populations étaient exposées périodiquement, par les famines, les guerres, les interruptions de la production, à des privations dont nous n’avons pas l’idée aujourd’hui. D’autre part, la rareté du numéraire, et généralement des accumulations disponibles, élevait considérablement le taux de l’intérêt. 10 p. 100 était un minimum au xiii e siècle dans les constitutions de rente ; le taux de 20 p. 100 était courant dans les affaires commerciales, et les Lombards, les Cahoursins, les Juifs, qui formaient des groupes étroitement coalisés, ne craignaient pas de le porter au 50 et au 60 p. 100 l’an.

Si une discipline très nette n’avait pas empêché l’usure de se développer dans l’intérieur de la société chrétienne, et l’avait laissée pénétrer dans les rapports ruraux, par exemple, tous les fruits de l’émancipation des serfs eussent été perdus[1] ; les grands propriétaires auraient détruit toute indépendance dans les populations vivant autour d’eux, comme à Rome et dans la Grèce ancienne[2]. Au lieu de cela, le fléau de l’usure était pour ainsi dire cantonné à l’extérieur de la société, puisque des étrangers seuls l’exerçaient d’une manière habituelle.

La doctrine canonique défendait d’abord toute perception d’un intérêt par suite d’un prêt de consommation, s’il n’y avait pas quelque circonstance particulière, quelque titre extrinsèque, qui le justifiât. Le 5e concile de

  1. Le Play, à plusieurs reprises, a signalé l’excellente pratique des anciens propriétaires de faire à leurs colons des prêts gratuits. C’est une coutume due à la doctrine canonique sur l’usure.
  2. Nous verrons cependant au chapitre suivant comment, au xve et au xvie siècles, les rentes constituées, qui étaient la forme licite du prêt à intérêt, grevaient gravement la propriété foncière dans beaucoup de localités.