Aller au contenu

Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et l’on comprend que le crédit (quelle que soit la forme juridique qu’il revête), soit envisagé très différemment par l’économie politique dans l’une ou dans l’autre hypothèse.

III. — Le crédit à la consommation doit être resserré dans les limites les plus étroites. Le desideratum économique est en effet qu’il soit pourvu à la consommation par les produits antérieurs du travail de chacun. S’adresser dans ce but à autrui, et, pour l’indemniser, compter sur une production future assez large pour couvrir les consommations passées et les consommations futures qui s’imposeront aussi, c’est risquer beaucoup. Par conséquent, il faut restreindre ces crédits-là dans la limite strictement nécessaire pour conserver la vie et les forces physiques de ceux qu’un accident met provisoirement hors d’état de se suffire à eux-mêmes. Saint François de Sales avait une vue très nette de cette vérité :

Un particulier lui demanda vingt écus à emprunter et lui en voulait faire sa promesse, dit son biographe. Le bienheureux n’avait pas toujours de telles sommes à donner… Il alla quérir dix écus et, revenu, lui dit : J’ai trouvé un expédient qui nous fera aujourd’hui gagner dix écus, si vous voulez me croire. — Monseigneur, dit cet homme, que faudrait-il faire ?Nous n’avons, vous et moi, qu’à ouvrir la main : cela n’est pas bien difficile. Tenez, voilà dix écus que je vous donne en pur don au lieu de vous en prêter vingt. Vous gagnez ces dix-là et moi je tiendrai les dix autres pour gagnés, si vous m’exemptez de vous les prêter[1].

Le crédit à la consommation relève de la charité, et, la charité étant indispensable à l’ordre social, on ne peut que le recommander comme une des formes de ce grand devoir chrétien. Il faut souhaiter de voir se développer ou renaître les œuvres de prêts gratuits, comme les anciens monts-de-piété, les monti frumentarii de l’Italie, les positos pios de l’Espagne et du Portugal[2]. [fin page78-79]

  1. Esprit de S. François de Sales, partie III, chap. iii.
  2. Sur les monts-de-piété primitifs, V. notre étude, le Crédit populaire et les Banques en Italie du xve au xviii e siècle (Larose et Forcel, 1885). V. sur les Positos pios d’Espagne, créés au xve siècle, une notice par M. Llhaurado, dans l’Enquête sur le crédit agricole à l’étranger, faite par la Société Nationale d’Agriculture, t. II, p. 267 (Paris, 1885). Le Banco di Napoli et les banques populaires d’Italie consacrent des sommes importantes, mais limitées à l’avance, aux prêts gratuits. En Belgique, l’abbé van den Dressche, dans ses admirables œuvres de coopération rurale, leur fait aussi une place.