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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/104

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Nous avons vu au chapitre précédent (§ 7) les raisons pour lesquelles le commerce et l’industrie seraient arrêtés dans leur essor, si manufacturiers et négociants devaient travailler exclusivement avec leurs capitaux personnels. D’autre part, la perspective d’un profit à tirer de ses épargnes est le seul mobile qui puisse déterminer à s’en dessaisir au profit d’autrui ; car on court toujours un certain risque et l’on en perd au moins la libre disposition instantanée. Enfin l’assurance d’accroître par un placement productif une épargne initiale, l’espérance de pouvoir vivre un jour sans travail actuel sur les fruits de son travail antérieur sont les causes qui développent le plus l’économie et l’activité industrieuse. Là encore l’intérêt général est en harmonie avec celui des particuliers, emprunteurs et prêteurs.

L’application des théories de Proudhon et de Karl Marx, selon qui nul ne pourrait percevoir un bénéfice de sa terre ou de ses capitaux mobiliers qu’à la condition de les exploiter soi-même, couperait court à toute épargne chez des catégories très nombreuses de personnes, qui ne sont pas à même d’exercer elles-mêmes le commerce, l’agriculture ou l’industrie. En tarissant ainsi une des sources les plus importantes de la capitalisation (chap. i, § 13), ces prétendus amis du travailleur empireraient gravement sa condition et ramèneraient l’humanité aux époques primitives de pauvreté générale et de misère absolue.

La nécessité de rémunérer celui qui fait un crédit à la production s’est d’abord manifestée à propos de la vente à terme. Les canonistes du xvie et du xvii e siècle mentionnent des usages locaux d’après lesquels la marchandise était achetée à plus bas prix en raison d’un paiement fait par anticipation, et ils en reconnaissent la légitimité au nom de la coutume[1]. Saint Thomas lui-même est allé au-devant de la solution

  1. Tolet, Instructio sacerdotum, lib. VIII, cap. l, in fine, justifie ainsi ces usages : « Sunt merces quæ aliter vendi aut emi nequeant nisi anticipata solutione, quales sunt merces lanarum. Non enim mercatores possunt eas habere nisi anticipando solutionem qua pastores possint pascere oves et expensas suas facere. » Cf. chap, vi, §6.