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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/103

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Par conséquent l’Église reconnaît qu’il n’y a plus lieu à inquiéter la conscience de ceux qui perçoivent un intérêt, pourvu qu’ils observent le taux légal, dans les pays où cette limitation existe, ou qu’ils ne dépassent pas la productivité moyenne du capital et la juste estimation du periculum sortis, là où la loi civile a renoncé à maintenir un maximum, impossible à observer avec les variations du taux du crédit qui se produisent en certaines circonstances[1].

IV. — Quant au crédit fait à la production, — et c’est celui qui doit normalement prendre une extension croissante, — il ne saurait être gratuit : sans cela il n’existerait pas. La doctrine canonique n’a jamais fait réellement obstacle à ce que celui qui confie ses capitaux à autrui, au lieu de les faire valoir soi-même, en retire un profit équivalant à leur productivité.

Le manufacturier, qui achète des matières premières, a un avantage évident à ne les payer qu’au bout d’un certain temps, de manière à avoir, au moment du paiement, déjà revendu la marchandise fabriquée au consommateur. S’il est obligé d’acheter comptant au producteur, il faut qu’il puisse trouver à emprunter de l’argent chez un tiers. Dans l’un comme dans l’autre cas, le capital mis à sa disposition a été productif et il trouve encore avantage à avoir recouru au crédit, tout en payant plus cher la marchandise achetée à terme, ou en tenant compte d’un intérêt à son prêteur.

  1. Il est très important au point de vue doctrinal de s’en tenir, pour justifier la perception de l’intérêt, aux titres du droit canonique :periculum sortis, damnum emergens, lucrum cessans, parce que il en découle l’obligation de conscience pour le prêteur de ne pas élever l’intérêt au delà du taux moyen de la productivité du capital et du péril de non-remboursement que peut comporter l’affaire. L’idée de Bentham, de Hume, de Turgot, de Bastiat, que le service rendu est la cause de la perception de l’intérêt, amènerait à justifier toutes les spéculations sur les passions ou sur la position embarrassée de tel ou tel emprunteur. La réglementation la plus conforme à la doctrine canonique et aux données de la science est celle de la loi allemande du 24 mai 1880 : « Celui qui, en exploitant la situation pénible, la légèreté ou l’inexpérience d’autrui, à l’occasion d’un prêt ou d’un ajournement de dette, se sera fait promettre ou accorder, soit directement, soit indirectement, des avantages dépassant le taux habituel des prêts d’argent ou d’après les circonstances en disproportion évidente avec la pratique usuelle, sera condamné comme usurier… » V. dans le même sens la belle Etude sur le prêt à intérêt de M. Baugas, professeur à l’université d’Angers (Paris, A. Rousseau, 1888), pp. 49, 224 et passim.