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Page:Jannet - Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle, 1892.djvu/109

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représentation d’un troupeau ou d’un canal, produise à perpétuité un intérêt, sans que pour cela le principal cesse de demeurer dû.

C’est là une vieille controverse. Mais l’un des traits de notre fin de siècle est de voir reparaître de temps à autre, par une sorte de phénomène d’atavisme, des erreurs qui paraissaient complètement détruites. En 1889, un membre de la très orthodoxe Société d’économie politique, M. Victor Modeste, a publié un ouvrage : le Prêt à intérêt, dernière forme de l’esclavage, dans lequel il prétend que la perpétuité d’un capital productif est en contradiction avec la destruction perpétuelle qui s’opère dans le monde physique. Rien n’est plus faux. L’art agricole et toutes les industries humaines sont précisément progressives, parce qu’elles dirigent la circulation de la matière et maintiennent toutes les conquêtes faites une fois sur la nature. Comme l’a fait remarquer un théologien éminent, c’est précisément en conférant à l’homme le pouvoir de produire des effets durables sur la matière, que Dieu lui a donné comme une image de sa puissance créatrice[1]. L’argument de M. Modeste porte d’ailleurs aussi bien contre la perpétuité de la propriété foncière que contre celle du capital prêté. Proudhon était plus logique, quand, avec l’amortissement du capital par l’intérêt,

    houille deviennent fonte ou acier. La circulation du capital dans les opérations industrielles et agricoles imite ainsi le grand phénomène naturel de la circulation de la matière. Stuart Mill (Principes d’économie politique, liv. I, chap. v, a très bien démontré que ces phénomènes se produisaient aussi bien pour les capitaux dits fixes que pour ceux qu’on appelle circulants. La direction de cette transformation, de manière à ce que le capital se multiplie et se reproduise incessamment, exige à la fois la capacité technique et la capacité économique. Dans les sociétés compliquées, basées sur l’échange et l’économie monétaire » cette dernière capacité est de plus en plus nécessaire et l’on peut dire avec une certaine vérité, selon le proverbe populaire, que conserver est aussi difficile qu’acquérir.

    Cette observation des faits réels de la vie industrielle démontre trois choses — 1° que les lois économiques ont en partie leur racine dans les phénomènes naturels ; — 2° que la liberté de disposer de ses biens, soit de son vivant soit même après décès, est un attribut naturel du droit de propriété ; — 3° que toute expérimentation socialiste, en arrêtant ou compromettant l’œuvre si délicate de la transformation et de la reconstitution incessante des capitaux, amènerait la ruine de la société dans un bref espace de temps.

  1. Mgr de Conny, le Travail, sa dignité et ses droits (Paris, Poussielgue, 1878).