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Page:Jarry - Les Minutes de sable mémorial, 1932.djvu/125

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DE SABLE MÉMORIAL

dant de son œil crevé et tissant sur son lit les fils de ses mains glauques.


Les mourants regardent leurs mains. Les mains des mourants sont des mondes. Les mains de ceux qui vont mourir, gourdes et lourdes, sont fécondes en lutins d’épouvantements sur les épidermes dormants. Sur l’ivoire de leurs phalanges se livrent des combats étranges. Jusqu’à la fin des lendemains les anges gardiens sont des anges corps à corps au serpent d’Héden enroulés comme des bagues autour des mains. Sous le frou-frou des serpents bleus les mourants regardent leurs mains coulant comme un fleuve d’opale d’un regard figé de faïence.

Les mourants regardent leurs mains. Leurs yeux sont rivés à leurs mains et leur ouïe au chant du hibou ; vous n’obtiendrez leur regard fou qu’en posant vos mains sur leurs mains, en posant sur leurs mains de fièvre une caresse de vos lèvres.

Les mains des mourants sont des croix. Qui les souilla fut sacrilège. Mais c’est leur seul espoir contre les Démons hâves.