Page:Jaurès - Action socialiste I.djvu/133

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si l’humanité tout entière n’est pas comme inspirée. Vous contemplerez de belles formes de statues, mais la société humaine vous apparaîtra tout à coup comme un limon pétri par le hasard, la misère et la force. Et les blanches statues mortes qui se profilent dans les musées vous fatigueront jusqu’au dégoût tant que la vivante humanité n’aura pas pris la forme de la justice. Vous échapperez à la platitude de l’heure présente en vous réfugiant dans les grands poètes : Hugo, le Dante, Eschyle. Mais, de toutes les profondeurs de leurs vers sonores et mystiques sortent des appels vers le droit ; si ces appels vibrent en vous, vous vous tournerez vers la vie, et vous comprendrez qu’il n’y a qu’un moyen pour l’humanité tout entière d’être un poète aussi, plus grand que tous les grands poètes, c’est de donner un corps à leurs rêves, et de faire une réalité de ce qui fut en eux image et pressentiment.

Vous êtes pleins de ces choses et vous sortez dans la rue : vous ne rencontrez que des ombres muettes et tristes qui circulent dans le brouillard en évitant de se heurter ; vous voudriez leur demander si elles vivent, si la vie est quelque chose, si elle a un sens, si les hommes ne pourraient pas lui en donner un, s’il ne vaudrait pas mieux s’entendre pour connaître et goûter la vie que se disputer misérablement les moyens de vivre ; mais vous sentez qu’elles ne vous répondraient pas : elles glissent à deux pas de vous, mais séparées