Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/17

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transparent. Ou plutôt elle serait une autre espèce de réalité aussi peu substantielle que possible, car la substance, la réalité substantielle, ne commence guère qu’avec la multiplicité des qualités. L’esprit ne peut pas concevoir qu’un objet qui se manifeste par des qualités multiples ne soit qu’une agglomération de ces qualités et qu’il n’y ait entre elles aucun lien interne. Et de fait, dans tout objet naturel, la température, la forme, la densité, la couleur varient ensemble : chauffez un métal, il se transforme pour tous nos sens. Plus encore dans les êtres vivants : il y a dans la plante, dans l’animal une corrélation étroite entre tous les organes, entre l’énergie intérieure de la sève, la vigueur résistante et la sonorité saine du tronc, la coloration des feuilles. Tout porte à croire qu’un être vivant, homme ou plante, pourrait se résumer dans une formule unique. L’homme futur n’existe pas en réduction, à l’état d’homunculus imperceptible, mais tout formé, dans les organes générateurs de ses ascendants, et pourtant tous les traits de sa constitution physique et morale, les plus profonds et les plus superficiels, l’énergie de son vouloir et le tic léger de sa lèvre, la couleur de ses yeux et la nuance intraduisible de sa mélancolie, tout est déterminé d’avance dès la conception ; il y a donc une forme caractéristique de la vie qui enveloppe et harmonise, avant même qu’elles se déploient, les qualités les plus diverses de la vie. Cela est vrai des espèces minérales et chimiques comme des individus vivants ; et lorsque le vulgaire et les métaphysiciens parlent de substance et de réalité substantielle, ils s’entendent fort bien eux-mêmes et avec la science, et ils ne méritent peut-être pas toutes les railleries que leur prodigue depuis un demi-siècle un