Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/235

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fonction de nutrition des joies tranquilles et saines qui en attestent l’innocence, ou tout au moins la légitimité.

Les deux besoins fondamentaux sont la faim et la soif. Il est à observer que l’homme ne se nourrit qu’avec des produits organiques, et que c’est au contraire avec un produit inorganique, l’eau, qu’il se désaltère. On dirait que, par la faim, l’animal fait partie d’un monde de vivants qui doit se suffire à lui-même et qu’au contraire, par la soif, il plonge jusque dans le monde minéral. Quand la vie s’est formée sur notre planète, elle a eu besoin d’humidité et d’eau. La soif prolonge dans l’animal cette première union de la vie et de la nature primitive. Boire de l’eau est peut-être l’action la plus innocente et la plus vénérable qui soit au monde. Si l’animal souffre moins cruellement de la faim que de la soif, c’est sans doute que se nourrissant avec des éléments organiques il peut se nourrir de sa propre substance, tandis qu’il ne porte point dans son organisme une source intérieure d’eau vive, qui puisse le désaltérer au défaut d’une source extérieure.

Il est très difficile de classer les sensations du goût. On distingue bien des espèces : le doux, l’amer, l’acide, le salé, etc., mais il est difficile de distribuer avec quelque exactitude, entre ces différents types, toute la variété des saveurs. Il n’y a pas une échelle ou un arc-en-ciel des saveurs comme il y a une échelle des sons et un arc-en-ciel des couleurs. C’est que les différentes espèces d’aliments, sans produire dans l’organisme des effets identiques, peuvent pourtant servir d’équivalent les unes aux autres. Le paysan, qui n’a mangé dans sa journée que de la soupe aux choux, et la belle dame, qui a usé son appétit de la journée dans deux ou trois pâtisseries, arrivent finalement au même résultat, qui