Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/431

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-mêmes. Sans doute, nous gardons bien encore le sentiment obscur de l’individu que nous sommes ; mais ce qui prédomine en nous, c’est le moi humain affranchi de toutes les particularités de la vie sociale. Sans doute, même dans ces moments de pensée forte ou d’émotion désintéressée, notre personnalité subsiste, marquant de son caractère propre nos émotions et nos pensées. Mais ce n’est pas la personnalité extérieure et superficielle que nous fait le hasard des événements ; c’est une personnalité profonde, indépendante du temps et de l’espace et qui ne pourrait guère être définie que par son rapport spécial à l’infinie vérité et à l’infinie beauté. Ainsi, nous touchons, dans ces heures d’élévation intérieure, à la conscience absolue et divine.

D’où vient que nous nous demandons parfois : Pourquoi suis-je ce que je suis et non pas autre chose ? pourquoi suis-je tel homme et non pas un autre homme ? pourquoi suis-je un homme et non pas un chien, un arbre, une pierre ? Si l’essentiel en nous était le moi individuel, particulier, cette question n’aurait pas de sens, car elle reviendrait à ceci : pourquoi, étant un homme et tel homme, suis-je un homme et tel homme ? Mais notre moi individuel est enveloppé, porté par une conscience plus vaste et plus profonde ; nous saisissons en nous la conscience et, dès lors, nous pouvons nous demander : pourquoi la conscience a-t-elle pris en nous telle forme particulière d’existence et non point telle autre ? Nous sentons que la conscience, en tant qu’elle est une puissance d’unité, d’harmonie aspirant à l’infini, est partout et la même partout, dans l’homme, dans le chien, dans l’arbre, dans la terre. Dès lors, démêlant en nous cette conscience absolue et une qui nous dépasse, et nous contemplant nous-mêmes du point de