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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/119

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HISTOIRE SOCIALISTE

national ; il est simplement le champ de bataille où se heurtent les factions, où les hommes du Nord et des Flandres, sous la bannière du duc de Bourgogne sont aux prises avec les hommes du Midi et de Gascogne conduits par les d’Armagnac. Il se borne à fournir aux partis rivaux l’appoint de ses forces bourgeoises et populaires, au hasard des passions les plus grossières ou des intérêts les plus mesquins. Il est, dans cette nuit si longue et si triste, comme une torche incertaine, secouée à tous les vents. Il n’est pas la grande lumière d’unité et de salut commun. Le salut, la parole décisive viendront de la France rurale, avec Jeanne d’Arc, douce héritière du brutal mouvement des Jacques.

Plus tard, au seizième siècle, quand la Réforme religieuse fait fermenter tous les éléments de la vie française, quand le conflit de la royauté moderne, des princes, des petits nobles, de l’Église, de la bourgeoisie, s’exaspère jusqu’à menacer l’unité nationale et l’indépendance même de la patrie, quand les Guise, appuyés sur les moines et sur la démagogie cléricale de la Ligue veulent abolir à la fois l’autorité du roi et la liberté naissante de la pensée, et décidément appellent l’Espagne, quand les protestants martyrisés demandent du secours à l’Allemagne et à l’Angleterre, Paris manque à son grand devoir national.

Il aurait dû défendre à la fois l’unité de la France garantie alors par le pouvoir royal et la liberté de la conscience religieuse qui se fût peu à peu comme transmuée en liberté politique. Au contraire il se livre aux prêtres et aux moines, il écrase et brûle la bourgeoisie protestante, il oblige le protestantisme à se réfugier dans les manoirs des petits nobles et à contracter une forme féodale et archaïque qui répugnait à son principe, et il élève au dessus du Roi, de la nation et de la conscience, l’Église brutale et traîtresse, alliée de l’étranger. Il faudra enfin qu’avec le Béarnais la royauté moderne, nationale et tolérante fasse le siège de Paris cléricalisé et espagnolisé. Il faudra, chose inouïe, une défaite de Paris pour assurer la victoire de la France.

D’où vient cette sorte d’aberration ? D’où vient cette aliénation de Paris, infidèle au libre génie de la France et à l’indépendance de la patrie ? Ce triste phénomène ne se peut expliquer que par l’incohérence, la contradiction presque insoluble des conditions économiques dans le Paris du seizième siècle. La bourgeoisie industrielle et marchande avait grandi : elle avait assez de force économique pour être en même temps une force morale ; et elle appliquait aux choses religieuses, la gravité, le besoin d’ordre, de clarté, de sincérité, que lui avait donné la pratique honnête et indépendante des affaires. Mais l’Église, avec laquelle une partie de la bourgeoisie entrait ainsi en lutte, disposait dans Paris même, d’une force économique écrasante. Elle y possédait des couvents, des hôpitaux, des abbayes sans nombre et elle nourrissait une énorme clientèle de mendiants ou de pauvres ou même d’ouvriers attachés à son service ou accidentellement sans travail. Elle pouvait