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HISTOIRE SOCIALISTE

Ce ne sera pas la riche noblesse, la haute noblesse de Cour qui sera en majorité dans l’assemblée des nobles : les nobles pauvres et fiers, les hobereaux aigris, les anciens officiers de peu de fortune et de peu de crédit feront en plus d’un point la loi, ou inspireront au cahier de la noblesse je ne sais quel esprit de protestation et de liberté grondeuse.

C’est le résultat des colères de l’opinion contre la noblesse de cour pensionnée et avide. C’est aussi l’effet des rancunes de la reine contre l’entourage, aristocratique et princier du comte d’Artois, son ennemi.

Si je note ces détails trop minutieux, semble-t-il, pour une large esquisse sommaire c’est parce qu’à l’origine des Révolutions bien des faits prennent une importance exceptionnelle : un pli imperceptible à l’intérieur du germe se développe en conséquences inattendues et certainement le Tiers-État, dans les premières semaines si critiques de la Révolution, n’aurait pas eu l’appui de la minorité de la noblesse sans ces particularités de la procédure électorale appliquée aux nobles. Bonne leçon aux prolétaires de ne négliger aucun détail, aucun élément d’action, même indirecte et lointaine.

Pour le clergé, les chapitres, corps et communautés ecclésiastiques devaient choisir parmi leurs membres un certain nombre de délégués, qui les représenteraient à l’assemblée générale. De même les ecclésiastiques résidant dans les villes du bailliage devaient se réunir chez le curé de la paroisse où ils étaient domiciliés et procéder là au choix de délégués. Donc pour les corps ecclésiastiques et pour cette catégorie des ecclésiastiques urbains, c’est la procédure électorale à deux degrés.

Au contraire, tous les bénéficiers et tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres et ne résidant pas dans les villes étaient convoqués, directement et personnellement, à l’assemblée générale du bailliage.

Si l’on se rappelle que tous les curés avaient un bénéfice et que beaucoup de vicaires résidaient dans les campagnes, on verra que le système électoral qui ne donnait aux chapitres de chanoines qu’un délégué pour dix chanoines et qui ne donnait aux communautés religieuses, aux moines et aux nonnes, qu’un délégué par communauté, favorisait largement la plèbe ecclésiastique, les curés et desservants qui avaient chacun leur suffrage direct.

Ici encore le mouvement d’opinion du siècle, très sévère pour le moine parasite, très bienveillant au pauvre curé méprisé des grands seigneurs d’Église, a eu son contre-coup sur la procédure électorale de 1789 et par conséquent sur la marche première de la Révolution.

Dès maintenant, nous pouvons pressentir que le clergé, dans la première période de la Révolution, ne fera pas bloc et finira même, sous l’action du clergé inférieur, par se rallier au Tiers-État. C’est à ces dislocations, à ces failles de la classe ennemie que s’annoncent les grandes commotions sociales :