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HISTOIRE SOCIALISTE

point admis : « Le bon ordre, la décence et la liberté même des suffrages exigent que Sa Majesté défende, comme elle fait expressément, qu’aucune personne, autre que les membres des trois ordres composant les États Généraux, puisse assister à leur délibération, soit qu’ils la prennent en commun ou séparément. » Voilà le Tiers mis en cellule, coupé de ses communications vivantes avec le grand peuple véhément qui le pressait jusqu’ici et le portait. C’est une sorte d’embastillement des députés des communes : et la royauté geôlière n’abaissera jamais le pont-levis.

Qu’importe après cela que le roi, dans une déclaration de ses intentions, ait annoncé qu’il voulait des économies et une plus juste répartition de l’impôt ? Quand même ces intentions auraient été sérieuses, quand même des restrictions et des ambiguïtés n’en auraient pas réduit le sens presque à rien, quand même le roi n’aurait pas expressément consacré tout le vieux système féodal « les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux », quelle garantie restait à la nation que les promesses seraient tenues, que les réformes d’un jour seraient continuées ? Chose inouïe : le monarque, en désarmant la nation s’était désarmé lui-même, et l’impuissance du roi haranguait la servitude de tous. Débilité et inconscience ! Et pourtant, après ces déclarations étranges où s’affirmait le néant royal, le roi osait dire que le néant serait tout, ferait tout.

Après avoir abdiqué au profit de la noblesse et du clergé, il prétendait tout absorber dans son autocratie : « Vous venez, Messieurs, déclara-t-il d’une voix dure et factice, vous venez d’entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues ; et si par une fatalité loin de ma pensée, vous m’abandonniez dans une si belle entreprise seul, je ferai le bien de mes peuples ; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant, et connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j’aurai toute la confiance que doit m’inspirer une si rare harmonie. Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre ordre pour y reprendre vos séances. J’ordonne en conséquence au grand maître des cérémonies de vous communiquer mes volontés. »

Ces déclarations du roi livrant à la noblesse et au grand clergé les morceaux de son pouvoir et se chargeant ensuite seul du salut d’une nation qu’il n’avait convoquée qu’à raison même de l’impuissance royale étaient d’une telle incohérence qu’elles causèrent sans doute plus de stupeur que de crainte. Dès la première minute, le roi fut désobéi. Les députés du Tiers au lieu de se disperser comme il en avait donné l’ordre restèrent en séance. Mirabeau, qui par la soudaineté de ses inspirations et l’immédiate vigueur de ses élans les plus réfléchis était l’homme des minutes décisives, se leva le premier !

«… Quelle est cette insultante dictature ? l’appareil des armes, la viola-