Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/277

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
267
HISTOIRE SOCIALISTE

recueillir les belles paroles d’humanité et de sagesse de celui qui créa le communisme moderne !

Il se trouva au passage du cortège, et aussitôt, le 25 juillet 1789, il écrivit à sa femme : « J’ai vu passer cette tête de beau-père et le gendre arrivant derrière sous la conduite de plus de mille hommes armés ; il a fait ainsi, exposé aux regards du public, tout le long trajet du faubourg et de la rue Saint-Martin, au milieu de deux cent mille spectateurs qui l’apostrophaient et se réjouissaient avec les troupes de l’escorte, qu’animait le bruit du tambour. Oh ! que cette joie me faisait mal ! J’étais tout à la fois satisfait et mécontent : je disais tant mieux et tant pis. Je comprends que le peuple se fasse justice, j’approuve cette justice lorsqu’elle est satisfaite par l’anéantissement des coupables ; mais pourrait-elle aujourd’hui n’être pas cruelle ? Les supplices de tous genres, l’écartèlement, la torture, la roue, les bûchers, les gibets, les bourreaux multipliés partout, nous ont fait de si mauvaises mœurs ! Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé : car tout cela, ma pauvre petite femme, aura des suites terribles : nous ne sommes qu’au début. »

O dirigeants d’aujourd’hui, méditez ces paroles : et mettez dès maintenant dans les mœurs et dans les lois le plus d’humanité qu’il se peut pour la retrouver au jour inévitable des Révolutions !

Et vous, prolétaires, souvenez-vous que la cruauté est un reste de servitude : car elle atteste que la barbarie du régime oppresseur est encore présente en nous.

Souvenez-vous qu’en 1789, quand la foule ouvrière et bourgeoise se livrait un moment à une cruelle ivresse de meurtre, c’est le premier des communistes, le premier des grands émancipateurs du prolétariat, qui a senti son cœur se serrer.

Les effets de la prise de la Bastille furent immenses. Il sembla à tous les peuples de la terre que la geôle de l’humanité toute entière venait de tomber. C’était plus que la déclaration des droits de l’homme : c’était la déclaration de la force du peuple au service du droit humain. Ce n’était pas seulement la lumière qui, de Paris, venait aux opprimés de l’univers : c’était l’espérance ; et en des millions et des millions de cœurs que possédait la grande nuit de la servitude, pointa, à la même heure, une aurore de liberté.

La victoire de Paris mit décidément un terme à l’offensive de la Royauté et de la Cour. Le Roi, poussé par la Reine et les Princes, avait marché contre l’Assemblée et contre la Révolution dans la séance royale du 23 juin ; il venait de marcher contre Paris et la Révolution en ces journées hésitantes et violentes de juillet. Partout repoussé, il s’enfermera désormais dans une défensive sournoise ; et c’est lui maintenant qui aura à subir des assauts répétés ; au 6 octobre, dans la fuite sur Varennes, au 20 juin, au 10 août, il lais-