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HISTOIRE SOCIALISTE

gence, la grande opération de crédit, l’audacieuse entreprise capitaliste du banquier Law.

Il faut lire dans le curieux journal de Mathieu Marais les violences des princes intervenant dans les opérations de Law, agiotant à coup sûr et ajoutant au bénéfice de ces spéculations effrontées les bénéfices de leurs monopoles sur des marchandises de tout ordre, le suif et le fer.

La noblesse française, qui déclame aujourd’hui contre les financiers sauf à épouser leurs filles, a donné au XVIIIe siècle les plus scandaleux exemples de corruption et d’avidité monopoleuse. Dans cette dernière période de l’ancien régime, elle concentrait en ses mains toutes les formes d’exploitation. Pendant qu’elle prolongeait sur les paysans, par d’innombrables droits féodaux, une partie au moins de la servitude du moyen âge, elle se glissait, avec une souplesse et une impudence merveilleuses, dans les vastes ressources de l’État monarchique et centralisé, elle épuisait le Trésor royal et elle transformait en magnifiques pillages princiers les entreprises du capitalisme naissant. Elle continuait l’exploitation féodale du passé, désorganisait la force monarchique du présent et corrompait en son germe le capitalisme hardi qui ne peut remplir sa fonction, exalter les énergies, multiplier les richesses et susciter la grande classe ouvrière par qui sera transformé le monde, que s’il est protégé contre l’arbitraire seigneurial, et s’il se développe avec une comptabilité régulière et certaine.

Par son obscur parasitisme féodal, par son éclatant parasitisme monarchique, par son immoralité financière, la noblesse atteignait ou menaçait toutes les forces vives de la France. La monarchie trop engagée avec elle ne pourra s’en libérer. Mais contre cette noblesse meurtrière les bourgeois et les paysans se soulèveront en un commun effort révolutionnaire et ils abattront la monarchie, dupe tout ensemble et complice des nobles.

Ils se soulèveront aussi contre la puissance absolue de l’Église. Celle-ci au XVIIIe siècle avait un énorme pouvoir politique et une énorme richesse territoriale. Sans doute, elle était soumise à l’autorité royale : la déclaration du clergé de 1682 avait affirmé les libertés de l’Église gallicane et limité le pouvoir de la Papauté sur les affaires ecclésiastiques de France. Or, ce que perdait la Papauté dans le gouvernement de l’Église de France était gagné par le Roi, c’est-à-dire en un sens, par la France elle-même. Ce n’est qu’au XIXe siècle que l’action ultramontaine s’affirmera pleinement dans notre pays. Mais elle était déjà grande au XVIIIe siècle. En somme, les jésuites avaient fini par avoir raison de Port-Royal et en avaient dispersé les cendres.

Dans la longue lutte entre le Parlement janséniste et les jésuites, à laquelle donna lieu la bulle Unigenitus, la plupart des prélats et des prêtres se rangèrent du côté de Rome, et les plus hardis opposants furent réduits à équivoquer et à biaiser. Même après l’expulsion des jésuites en 1765, ceux-ci continuèrent à prêcher avec une sorte de bravade et j’ai eu en main des manuels de théologie