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HISTOIRE SOCIALISTE

prochés par les sentiments d’humanité qui caractérisent toutes ses délibérations et qui animent tous ses efforts. »

Une demi-heure après, l’Assemblée, à la presque unanimité, retirait aux pauvres prolétaires blancs le droit de suffrage. L’abîme qui, à cette heure, séparait encore la Révolution bourgeoise du prolétariat misérable était plus vaste que l’abîme des mers.

Il y avait plus loin de l’Assemblée aux plus pauvres ouvriers de France qu’aux propriétaires de couleur des colonies.

Le 29 octobre, quand vient la question de l’illégibilité, même médiocrité de la discussion, même parti pris de l’Assemblée presque toute entière, à ne point aller jusqu’où la logique de la démocratie voulait qu’elle allât ; même indifférence du peuple qui hier, grondait et se soulevait à propos du veto, qui demain grondera encore à propos du droit de paix et de guerre, mais qui cette fois n’assiège point l’Assemblée ; il ne s’émeut même pas quand on fait de lui une cohue passive, quand on lui retire l’électoral, quand on lui ferme l’accès de la représentation nationale.

Pourtant, cette fois, l’article proposé était vraiment brutal : le Comité de Constitution exigeait une contribution égale à la valeur d’un marc d’argent pour être éligible en qualité de représentant aux Assemblées nationales. Un marc d’argent, c’est-à-dire cinquante livres, un chiffre d’impôt qui excluait des Assemblées non seulement les prolétaires, mais la plupart des petits propriétaires et une portion notable de la bourgeoisie elle-même. Petion de Villeneuve combattit le premier cet article, mais avec quelles hésitations ! avec quelles concessions !

« J’ai été longtemps dans le doute, dit-il, sur la question de savoir si un représentant doit payer une contribution directe. D’un côté je me disais que tout citoyen doit partager les droits de cité ; de l’autre, lorsque le peuple est antique et corrompu j’ai cru remarquer quelque nécessité dans l’exception proposé par votre Comité de contribution.

« Cependant, elle me paraît aller trop loin : elle ne devrait se borner qu’à la qualité d’électeur… Dès que vous avez épuré vos assemblées primaires, dès que vous avez déterminé ceux qui peuvent être électeurs, dès que vous les avez jugés capables de faire un bon choix, je vous demande si vous devez mettre des entraves à ce choix, si vous devez, en quelque sorte, leur retirer la confiance que vous leur avez accordée. »

Ainsi, Petion, qui était de la gauche extrême, accepte pour l’électorat la condition du cens : il considère comme une épuration l’exclusion des plus pauvres qui ne sont point admis aux assemblées primaires, et c’est seulement parce que l’Assemblée a procédé au triage des électeurs qu’il regarde comme superflues les conditions d’éligibilité : le cens d’électorat rend inutile le cens d’éligibilité. Et cette opposition, qui n’est même point de principe, fut la seule.