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HISTOIRE SOCIALISTE

sommes, en effet, dans une période de Révolution et que la grande bourgeoisie des villes et la moyenne bourgeoisie rurale s’appuient, nécessairement contre l’ancien régime sur les ouvriers et sur les paysans.

En fait, le personnel administratif des premiers jours de la Révolution suffit à tous les événements et à toutes les hardiesses jusqu’au 31 mai 1793, jusqu’au déchirement violent de la Gironde et de la Montagne. Ni la fuite à Varennes, ni le 10 août, ni même la mort de Louis XVI ne déterminent une crise administrative ; sauf dans quelques directoires de département où s’était installé l’esprit de modérantisme, les autorités constituées vont du même pas que la Révolution. En comparant le personnel municipal de diverses villes de 1790, 1791, 1792, et dans les premiers mois de 1793, je ne trouve guère que les inévitables changements qu’amène le cours de la vie ; je ne note nulle part le brusquement remplacement de tout un corps administratif ; presque partout il y a une tendance visible à la stabilité.

C’est par suite d’une inadvertance que l’Histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud dit : « Le maire était élu pour deux ans, mais n’était pas immédiatement rééligible. » La loi municipale du 14 décembre 1789 dit, au contraire, en son article 48 : « Le maire restera en exercice pendant deux ans, il pourra être réélu pendant deux autres années, mais ensuite il ne sera permis de l’élire de nouveau qu’après un intervalle de deux ans. » En fait, dans beaucoup de communes le maire resta en fonctions de 1790 à 1793.

Il n’en fut pas ainsi à Lyon, où le parti démocratique élimina le parti modéré. Mais à Nantes, c’est seulement sur le refus formel du maire Kervégau que les électeurs renoncent à le réélire ; Dorvo est élu procureur de la Commune en 1791 et réélu en 1792. Baco, maire de Nantes en 1792 et 1793 jusqu’au 31 mai, est un ami politique de Kervégau, et la liste des conseillers municipaux et des notables contient en 1792 et 1791 bien des noms de la première heure, Clavier, Chanceaulme, Cantin, etc.

À Marseille, le maire Étienne Martin, surnommé le Juste, élu en 1790, aurait été certainement réélu à la fin de 1791 si, à raison même de sa popularité, il n’avait été envoyé à la Législative. À Bordeaux, le puissant armateur millionnaire Saige reste maire de 1790 au 31 mai 1793. À Louhans, après quelques compétitions toutes personnelles, le premier maire, Antoine Vitte, est éliminé ; mais Laurent Arnoux, qui lui succède, chevalier de l’ordre de Saint-Louis et ancien capitaine d’artillerie, est élu deux fois de suite.

Le premier personnel administratif de la Révolution n’est donc pas une sorte d’ébauche timide et grise qu’il faudra bientôt déchirer et remplacer ; la force révolutionnaire qui le soulève en 1789 et 1790 suffira à le porter jusqu’au 31 mai 1793 ; c’est à cette date seulement que les premiers cadres administratifs de la Révolution sont brisés et renouvelés.

Je le répète pour ceux qui veulent vraiment pénétrer au fond de la réalité historique. Il y aurait un intérêt de premier ordre à suivre dans le détail