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HISTOIRE SOCIALISTE

et déduit le soleil et les planètes d’une même masse de vapeurs lentement condensée et différenciée. C’est selon cette méthode d’abstraction nécessaire et de généralisation que Montesquieu a ramené à quatre types principaux l’infinie variété des gouvernements humains. C’est selon cette méthode qu’Adam Smith a pu étudier l’innombrable diversité des phénomènes économiques réduits par lui à quelques catégories fondamentales.

Toujours et partout, sous la diversité infinie et accablante des faits particuliers, la science perçoit et dégage, par une opération hardie, quelques grands caractères décisifs et profonds ; et c’est le contenu de cette idée claire et relativement simple qu’elle éprouve et développe en tout sens, par l’observation, par le calcul, par la comparaison incessante des prolongements du fait et des prolongements de l’idée.

Mais c’est selon la même méthode que l’esprit classique construit ses œuvres. C’est ainsi que Descartes, avec les deux idées de la pensée et de l’étendue, a développé tout le monde matériel et tout le monde moral. C’est ainsi que Pascal, creusant au plus profond de la nature humaine, a mis à nu notre bassesse et notre grandeur et de cette seule idée commentée par l’idée de la chute a déduit tout le christianisme. Ainsi nos grands créateurs tragiques ou comiques bâtissaient sur un thème large et simple leur œuvre vivante. Ainsi encore avec les deux idées de nature et de raison l’Encyclopédie ébranlait tous les systèmes d’erreur. Ainsi enfin, dans la seule affirmation des droits de l’homme et du citoyen, la Révolution résumait avec une merveilleuse puissance, les aspirations nouvelles des consciences agrandies et les garanties positives réclamées par les intérêts nouveaux.

Elle aussi, comme la grande science à laquelle M. Taine l’oppose en vain, elle a trouvé une idée dominante et vaste qui lui permet d’exprimer toute une période de la vie sociale et de coordonner des forces sans nombre. En tout cas, monsieur Taine ne peut condamner l’esprit classique et l’esprit de la Révolution sans condamner la science elle-même : et c’est seulement par une inconséquence qu’il a échappé à l’extrême réaction catholique : il s’est arrêté à mi-chemin.

Ah ! il eût été commode à l’absolutisme religieux, monarchique, féodal, que le xviiie siècle se bornât à de lentes monographies enfouies en des archives de bénédictins, ou à de patientes recherches d’érudition sur le passé. Il eût été commode à toutes les tyrannies, à tous les privilèges que la pensée française continuât à se jouer, comme au xvie siècle, en de magnifiques débauches de mots et noyât sa révolte dans le large flot incertain et trouble de la prose rabelaisienne. Il eût été commode aux prêtres, aux moines, aux nobles, que le xviiie siècle, devançant le romantisme, s’attardât à décrire minutieusement, avec le plus riche vocabulaire, le vieux portail d’une vieille église ou la vieille tour d’un vieux château !

Mais la pensée classique avait autre chose à faire. Elle notait avec pré-