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HISTOIRE SOCIALISTE

mais réduire cette exigence révolutionnaire de la propriété mobilière aux proportions d’une intrigue étrangère et d’un complot juif, c’est méconnaître l’énorme mouvement économique accompli en Europe depuis trois siècles et que Barnave a si fortement analysé.

Aussi bien, comme nous le verrons, la part des biens nationaux acquise par les juifs est tout à fait infime et négligeable, et cette tentative pour faire de la Révolution une conspiration juive serait plaisante par sa frivolité, si nous n’avions vu combien ces pitoyables falsifications gravement rééditées par les « sociologues » antisémites et les journaux d’Église servaient le mouvement réactionnaire dans notre pays. Oui, l’abbé Maury a été un grand inventeur.

Le voici maintenant qui essaie de faire peur à la propriété bourgeoise. « Quand je dis les propriétés, Messieurs, je prends le mot dans son acception la plus rigoureuse. En effet, la propriété est une et sacrée, pour nous comme pour vous. Nos propriétés garantissent les vôtres. Nous sommes attaqués aujourd’hui ; mais, ne vous y trompez pas, si nous sommes dépouillés, vous le serez à votre tour ; on vous opposera votre propre immoralité et la première calamité en matière de finances atteindra et dévorera vos héritages… Si la nation a le droit de remonter à l’origine de la société, pour nous dépouiller de nos propriétés, que les lois ont reconnues et protégées pendant plus de quatorze siècles, ce nouveau principe métaphysique vous conduira directement à toutes les insurrections de la loi agraire.

« Le peuple profitera du chaos pour demander à entrer en partage de ces biens, que la possession la plus immémoriale ne garantit pas de l’invasion. Il aura sur vous tous les droits que vous exercez sur nous ; il dira aussi qu’il est la nation, qu’on ne prescrit pas contre lui. Je suis loin d’interjeter un appel au peuple, et d’exciter des prétentions injustes et séditieuses qui anéantiraient le royaume ; mais il doit être permis d’opposer à un principe injuste et incendiaire les factieuses conséquences que peut en tirer la cupidité, malgré votre patriotisme qui les désavoue. »

En fait, l’Église ne tardera pas à interjeter cet appel ; elle essaiera en plus d’un point d’ameuter les fermiers des biens d’Église sécularisés, et de leur persuader qu’ils ne doivent aucun fermage à leurs nouveaux maîtres. Mais il y a dans le discours de l’abbé Maury, dans cette menace suprême jetée à la propriété bourgeoise par la propriété cléricale menacée, un grand sophisme. Oui, l’expropriation révolutionnaire des biens d’Église permet de conclure que les biens de la bourgeoisie pourraient être aussi un jour révolutionnairement expropriés.

Oui, de même que les juristes bourgeois ont déclaré que si les biens d’Église avaient été créés en vue de certains services sociaux, c’était à défaut de la Nation, et que la Nation pouvait donc, en assumant ces services, saisir ces biens, nous pouvons dire aujourd’hui, nous, communistes, que si la pro-