Mais la Constituante écartait ce problème comme un cauchemar. Et elle n’osait même pas statuer sur le droit politique des mulâtres libres, car elle craignait, en accordant l’égalité politique à une partie des hommes de couleur, d’éveiller au cœur des esclaves noirs des espérances qu’elle ne voulait point réaliser. Il fallut bien pourtant qu’elle légiférât sous peine d’abandonner, à jamais les colonies à l’anarchie.
C’est Barnave, qui, comme rapporteur en mars 1790, porta la question à la tribune. Il fut le défenseur passionné des grands colons. Et je lis en plus d’un livre : « Voilà bien l’homme au double visage. » Démocrate pour la France, complice de l’oligarchie aux colonies. Les ennemis de Barnave ne tardèrent point d’ailleurs à se faire une arme contre lui de sa politique coloniale. Et lui-même, en parlant de Brissot, l’ami des noirs, l’appelle « le scélérat qui m’a volé ma popularité ». Je l’avoue, je ne comprends pas cet étonnement. Barnave n’était point un idéaliste ; c’était un réaliste très net. Si l’on se souvient des pages de lui que j’ai citées, sur les causes de la Révolution, on sait que selon lui, elle fut la conséquence et l’expression politique de la croissance économique bourgeoise, le triomphe de la richesse mobilière.
Dans sa pensée donc, tout ce qui pouvait entraver la puissance de la bourgeoisie et du capitalisme était contraire à la Révolution. Démocrate, oui, contre les puissances de l’ancien régime, contre la féodalité terrienne, contre l’arbitraire royal et bureaucratique, contre tout ce qui pouvait arrêter l’essor de la production, mais, bourgeois avant tout, très nettement et très consciemment. Comment donc s’étonner qu’il ait marché avec le capitalisme colonial ? Que son amitié pour Lameth, qui le conduisit à l’hôtel Massiac, l’ait engagé plus directement dans la question : c’est évident ; qu’il ait été flatté de jouer un rôle actif dans ce débat redoutable et que sa vanité personnelle se soit complue en des apparences « d’homme d’État », c’est possible. Mais sa conception générale de la société, et de la politique, ne lui permettait pas dans la question coloniale une autre posture.
Il est, plus que tout autre, dans la Révolution, l’avocat-né de la bourgeoisie. Le décret, d’ailleurs, qu’il proposa au nom du Comité était assez habilement calculé : il paraissait comme un compromis entre les intérêts essentiels des colons et les principes de la Révolution. Il accordait aux colons, une large autonomie, les protégeait contre toute innovation sur le statut des colonies : et en même temps, il établissait ou semblait établir l’égalité au point de vue électoral entre tous les hommes libres, qu’ils fussent blancs ou mulâtres. Décret du 8 mars 1790 :
Article 1er. — Chaque colonie est autorisée à faire connaître ses vœux sur la constitution, la législation et l’administration à la charge de se conformer aux principes généraux qui lient les colonies à la métropole et qui assurent la conservation de leurs intérêts respectifs.
Article 2. — Dans les colonies, où il existe des Assemblées coloniales li-