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HISTOIRE SOCIALISTE

offrent quelques augmentations, mais les étoffes de soie, les gazes, les rubans et la bonneterie de soie ont trouvé dans ce premier semestre une faveur de débit depuis longtemps inconnue, puisque, année moyenne, les ventes de cette nature ne s’élevaient pas à plus de 36 millions et qu’elles ont monté pour cette dernière époque à 45 millions, parties entièrement pour l’Allemagne. »

Ainsi, contrairement à des affirmations bien arbitraires, ce sont précisément les industries de luxe qui, dans cette première période de la Révolution, semblent le plus stimulées, et nous comprenons maintenant comment le voyageur allemand dont j’ai parlé, Reichardt, a trouvé Lyon en plein éclat et en pleine fête dans le cœur de l’hiver de 1792. Je me demande même (mais ceci est pure conjecture), si ce ne sont pas les princes et les nobles émigrés de l’autre côté du Rhin qui ont développé en Allemagne, soit par leurs propres achats, soit par l’exemple, l’importation des soieries françaises. Ainsi, au début, l’émigration elle-même aurait eu pour effet d’éloigner et non de supprimer la clientèle aristocratique des industries de luxe.

En tout cas je crois avoir le droit de conclure que jusqu’à la grande tempête de la guerre, il y a eu plutôt animation que dépression de l’industrie en France. Dès lors les ouvriers ne souffraient pas, et il est même infiniment probable que la main d’œuvre était assez recherchée. Il n’y eut pas d’ailleurs, qu’on le note bien, d’agitation populaire aiguë en 1790, 1791 et 1792 : et les journées du 20 juin et du 10 août ne procèdent aucunement de souffrances économiques.

Mais la baisse commençante des assignats, qui est déjà de 6 ou 7 pour cent, en 1791, et qui s’aggrave en 1792 n’a-t-elle pas pour effet de renchérir les denrées et par suite d’empirer la condition des ouvriers ? Il semble que s’ils reçoivent de l’entrepreneur, pour deux ou trois journées de travail, un assignat de 5 livres, et si cet assignat perd sept ou huit pour cent, c’est une perte de sept ou huit sous pour ces deux ou trois journées de travail que subissent les ouvriers.

Mais il serait tout à fait téméraire de conclure ainsi pour l’année 1791. Marat, que nous avons déjà vu si animé contre les assignats, dit bien qu’un jour, le jour de la fuite du roi, ils perdirent 40 pour cent. Et il calcule que la dépréciation des assignats aura pour conséquence de renchérir les marchandises bien au delà de la diminution de prix procurée par l’abolition de l’octroi. Mais il ne peut citer aucun fait précis. Il ne peut nier la diminution du prix du pain. Il ne peut pas indiquer une seule denrée pour laquelle les ouvriers, munis d’assignats, soient obligés de payer une somme complémentaire.

Comment expliquer le phénomène assez déconcertant tout d’abord ? On ne peut supposer que les marchands prenaient à leur compte la perte de l’assignat. Voici, je crois, ce qui se passait : Les marchands ne faisaient, à ce moment, aucune différence entre l’or ou l’argent et les assignats : surtout les