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HISTOIRE SOCIALISTE

rehaussement de gages qui ne peut jamais être un objet important pour l’avenir et dont le seul produit est de mettre les hommes en état de vivre un peu mieux, mais seulement au jour le jour… Les manufactures réunies, les entreprises de quelques particuliers qui soldent des ouvriers au jour la journée, pour travailler à leur compte, peuvent mettre ces particuliers à leur aise, mais elles ne seront jamais un objet digne de l’intérêt des gouvernements. »

Ailleurs il désigne les manufactures séparées, pour la plupart combinées avec la petite culture, comme « les seules libres ».

Et Marx ajoute : « S’il affirme leur supériorité, comme économie et productivité, sur les « fabriques réunies », et ne voit dans celles-ci que des fruits de serre gouvernementale, cela s’explique par l’état où se trouvaient alors la plupart des manufactures continentales. »

La plupart des grandes manufactures ne pouvaient, en effet, s’établir qu’en vertu d’un privilège royal ; et, quoiqu’en vérité ce privilège n’eût guère d’autre effet que de donner forme gouvernementale à un mouvement économique inévitable, Mirabeau et beaucoup d’autres révolutionnaires pouvaient s’imaginer que la grande industrie ne se soutenait qu’artificiellement et tomberait devant la petite, quand serait réalisée la pleine liberté du travail, sans entraves corporatives et sans monopole d’État. Dès lors les rapports de la classe des salariés et des entrepreneurs perdaient aux yeux de beaucoup de révolutionnaires de ce temps leur importance sociale.

C’est par une autre voie, c’est par la multiplication des petites entreprises où l’ouvrier, toujours prêt à devenir un artisan libre se défendait contre son modeste patron par la possibilité même de s’établir à son tour, c’est par cette conception de petite bourgeoisie artisane qu’ils espéraient arriver à l’équilibre social. Cette illusion étrange des démocrates favorisa la savante manœuvre de la bourgeoisie capitaliste, servie en même temps par l’insuffisante conscience de classe des prolétaires et par la timidité de leur passé.

Une autre raison qui, sans doute, décida les révolutionnaire d’extrême gauche, ceux du parti populaire, à rester à l’écart de ce débat, c’est qu’il leur en coûtait de s’avouer que dans la société nouvelle il allait y avoir des classes. Quoi ! nous venons d’abolir toutes les barrières qui séparaient les citoyens : nous avons aboli les provinces, les douanes extérieures et intérieures, les corporations, les maîtrises, les ordres ! nous avons détruit la noblesse ! nous avons dissous les Parlements ! nous avons fait des prêtres de simples citoyens salariés ! Et dans cette société unie, dans cette fédération nationale, se formeraient deux camps, deux groupes antagonistes : les capitalistes d’un côté, délibérant avec les capitalistes, et les prolétaires de l’autre, délibérant avec les prolétaires ! Est-ce que la loi commune ne suffit pas à protéger les uns et les autres, et si les uns sont trop faibles pour obtenir justice, est-ce qu’il faut les abandonner à eux-mêmes en leur laissant seulement le droit de se