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HISTOIRE SOCIALISTE

dans la cour du Château. Exaspéré, le peuple appelle ces gentilshommes les chevaliers du poignard.

C’étaient plutôt des paniques que des troubles graves. Mais cela indiquait la nervosité croissante de l’opinion. Et Louis XVI, Marie-Antoinette, durent enfin prendre un parti. Quatre voies s’ouvraient à eux. Ou bien il fallait accepter pleinement, irrévocablement, la Révolution et rester à Paris, donner, par la présence même et par toute la conduite, la preuve d’une entière bonne foi, désarmer ainsi les défiances et être vraiment une royauté constitutionnelle et moderne.

C’était le parti le plus sage, mais les préjugés, les croyances, l’orgueil du Roi et de la Reine le leur rendaient inacceptable. Ou bien il fallait accepter sans arrière-pensée la Révolution et quitter Paris, non pour aller à la frontière, non pour se rapprocher de l’étranger, mais pour s’établir en province, à Rouen ou à Fontainebleau, et adresser de là un appel à la nation. J’ai déjà dit les périls de ce plan. Mirabeau y insista encore le 4 février, il essaya d’y rallier avec le Roi, La Fayette. Mais La Fayette affectait de mépriser Mirabeau, et le Roi le méprisait.

Il n’avait jamais compris ce qu’il y avait de grand et de sincère dans son génie ; il acceptait ses services, les dégradait en les payant et s’imaginait que Mirabeau pourrait travailler ainsi à la désorganisation des forces révolutionnaires. Mais l’admettre à créer vraiment et à équilibrer un ordre nouveau eût paru à Louis XVI une imprudence et une indignité.

Ainsi, le grand homme se débattait en vain, séparé toujours par un mur de mépris de ceux que dans l’intérêt de la France nouvelle, il aurait voulu sauver.

Il ne restait donc plus que deux plans, inspirés tous deux de la haine pour la Révolution. Ou bien le Roi se tairait, approuvant passivement, laissant dire et laissant faire, au besoin même encourageant les partis extrêmes dans l’espoir insensé que la Révolution s’userait par ses propres excès et que le pays fatigué rétablirait en sa plénitude la vieille autorité royale et religieuse.

Oui, plan insensé, car d’abord si la Révolution s’était emportée « à des excès », le premier de ces excès eut été de supprimer la puissance souveraine qui aurait attendu ainsi, gîtée au cœur de la Révolution, une défaillance nationale ; et puis, comme c’est la résistance de la Cour et du Roi qui exaspérait les énergies révolutionnaires, la cessation, même hypocrite, des hostilités royales aurait peut-être amené un calme et un équilibre d’esprit dont précisément on avait peur.

Ou bien enfin il fallait fuir, non pas pour se livrer à Mirabeau, c’est-à-dire encore à la Révolution, mais pour prendre le commandement de l’armée de Bouillé et dicter à la France des conditions avec l’appui de l’étranger. C’est entre ces deux derniers systèmes qu’en janvier, février et mars oscilla l’esprit du Roi.