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HISTOIRE SOCIALISTE

on doit regarder ce plan comme arrêté et prendre garde qu’il ne soit contrarié par des idées disparates ; c’est pourquoi Leurs Majestés doivent éviter avec grand soin de diviser la confiance et de multiplier les entremises, ayant déjà éprouvé que cette manière d’agir ne servait qu’à nuire, retarder et embarrasser. »

Le comte d’Artois voulait être seul à diriger la lutte contre la Révolution : jeu étrange des ambitions et des intrigues autour du roi, vers lequel s’allonge déjà l’ombre d’un destin tragique ! Les raisons données par le comte d’Artois contre le départ du roi sont misérables : car si les événements du 18 avril ont conduit le roi à aggraver son système de mensonge, à assurer la France et le monde de son amour pour une Constitution haïe, en quoi cela peut-il fixer le roi à Paris ?

Est-ce que le comte d’Artois ne conseille pas au roi un mensonge plus odieux encore s’il est possible, une plus vile et plus scélérate hypocrisie ? Appeler les armées étrangères pour écraser la Constitution et la liberté, et en même temps se donner au peuple affolé par l’invasion comme le médiateur et le sauveur nécessaire, quel manège plus répugnant ?

Aussi bien, la note du 20 mai n’eut aucun effet sur Louis XVI, si même elle fut connue de lui autrement que par un message verbal. Dès la fin d’avril, comme il résulte des lettres de Bouillé à Fersen, le départ était si bien décidé que Bouillé et Fersen s’employaient dès lors à déterminer l’itinéraire. Le roi se disait qu’il obligerait bien les souverains de l’Europe à se prononcer pour la monarchie contre la démocratie.

Mais avait-il arrêté un plan de politique intérieure ou, comme on dira plus tard, un plan de Restauration ? Quelle conduite Louis XVI, vainqueur de la France révolutionnaire, tiendrait-il envers la Révolution ? Ses idées étaient très flottantes. Une seule chose est sûre, c’est que tandis que le comte d’Artois cherchait à devenir le grand chef de la Contre-Révolution et à supprimer toute autre influence, le baron de Breteuil, de son côté, aspirait à devenir le ministre dirigeant, le haut conseiller et le haut guide de la monarchie restaurée en son plein pouvoir.

Il écrit le 30 avril : « Comme il est impossible, quelque diligence que je puisse faire, que le roi ne soit pas plusieurs jours avant moi au lieu où il devra se rendre ; je demande qu’excepté les opérations militaires, sur lesquelles il importe de ne gêner ni retarder les vues du général (Bouillé), Sa Majesté veuille bien ne prendre aucune résolution sur les personnes et sur les choses avant que j’aie pu prendre ses ordres. Rien n’est plus essentiel pour le service du roi, que d’éviter les démarches précipitées sur lesquelles il faudrait peut-être revenir.

« J’oserai ajouter qu’il ne l’est pas moins que Sa Majesté fasse connaître jusque dans les moindres détails l’étendue de la confiance dont elle voudrait m’honorer dans la conduite des affaires. Le roi pourrait voir cette demande de