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HISTOIRE SOCIALISTE

crates de l’extrême gauche ne tentèrent de protester contre les paroles si bourgeoises de Barnave.

On dirait que la Révolution, menacée d’un péril soudain, se repliait sur son centre, la bourgeoisie modérée. Aussi bien l’action hardie et confiante de la Constituante saisissant tout le pouvoir, envoyant partout l’ordre d’arrêter le Roi et ordonnant à tous les fonctionnaires publics de prêter un nouveau serment à la nation et à la loi ralliait autour d’elle tous les esprits. De toute part, les adresses enthousiastes lui arrivaient. Partout les municipalités, les directoires lui disaient que bien loin d’abattre le courage, le péril les électrisait. Et partout aussi, sans que le mot de République fût prononcé, un sentiment républicain se faisait jour.

J’ai déjà cité le mot admirable de la municipalité nantaise : « Le roi est parti ; la nation reste. » Il faut encore, entre bien d’autres adresses, noter celle de la ville de Givet : « Le roi est parti, se dirent les bons citoyens, hé bien ! cet événement n’a rien qui doive nous décourager. L’Assemblée nationale suppléera à tout, et si la royauté était une récompense, ses travaux immortels lui en ont mérité les droits ».

C’est la royauté de l’Assemblée élue, c’est-à-dire de la nation elle-même qui remplace la royauté défaillante et traîtresse des Capet. Les ouvriers des ateliers publics, dont l’Assemblée, comme nous l’avons vu, venait de prononcer la dissolution se présentaient à la barre, non pas pour récriminer, mais pour assurer l’Assemblée de leur dévouement à la Patrie et à la loi : « Un d’entre eux, dit le procès-verbal, prête en leur nom le serment de fidélité à la nation. Il fait de respectueuses représentations sur le décret qui fixe l’époque de la cessation des ateliers de charité, et demande le rapport de ce décret. Il jure que dans tous les cas ils ne seront jamais infidèles à leur serment. » Ainsi l’adhésion était universelle.

Le roi, en partant, avait laissé à Laporte, intendant de la liste civile, un pli cacheté. Ce pli fut remis au ministre de la justice Duport-Dutertre. C’était une déclaration du Roi à tous les Français. Il s’y plaignait longuement des empiétements de l’Assemblée nationale sur l’autorité royale. Il affirmait n’avoir jamais été libre : et il gémissait sur la médiocrité de la liste civile (fixée à 25 millions), sur l’insuffisance des aménagements du palais des Tuileries. Il terminait cette terne et vulgaire déclaration par l’annonce filandreuse d’un changement constitutionnel : « Français, et vous surtout Parisiens, vous habitants d’une ville que les ancêtres de Sa Majesté se plaisaient à appeler la bonne ville de Paris, méfiez-vous des suggestions et des mensonges de vos faux amis ; revenez à votre Roi ; il sera toujours votre père, votre meilleur ami. Quel plaisir n’aura-t-il pas à oublier toutes les injures personnelles et à se revoir au milieu de vous, lorsqu’une Constitution, qu’il aura acceptée librement, fera que notre sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera établi sur un pied stable et utile par son action, que les biens et l’état